En 2025, le ZEvent a battu un nouveau record en collectant plus de 16 millions d’euros au profit des soignants et des aidants. Si cet exploit souligne la générosité des communautés de joueurs, il révèle aussi un phénomène plus vaste : les multiples manières dont le monde du jeu vidéo s’engage pour des causes caritatives. Streaming, bundles solidaires, mécénat… le jeu vidéo dépasse de plus en plus son cadre purement ludique pour devenir un levier d’action sociale.
Comment fonctionne un événement caritatif vidéoludique ?
Le principe du streaming solidaire
Depuis quelques années, les événements de streaming caritatif se sont imposés dans le paysage numérique francophone. Le principe est simple : pendant plusieurs jours, des créateurs de contenus – souvent appelés streamers – se relaient en direct sur des plateformes comme Twitch ou YouTube Live pour mobiliser leur communauté autour d’une cause solidaire. Le public, composé principalement de jeunes adultes et d’adolescents, peut suivre les lives, commenter en direct… et surtout faire des dons.
Les donation goals : donner devient un jeu
Pour inciter à la participation, les streamers proposent des “donation goals” : des défis à relever ou des contenus spéciaux à débloquer à certains paliers de dons. Il peut s’agir de challenges absurdes (manger un piment, se déguiser en licorne), d’actions symboliques (chanter une chanson, inviter un invité surprise) ou de moments très attendus (révélations, concours, sessions de jeu à plusieurs).


Un nouveau Téléthon à l’ère numérique
Ces événements peuvent réunir plusieurs dizaines de streamers, dans un lieu commun ou à distance, pendant un week-end entier. Ils s’appuient sur les codes de la culture numérique – humour, performance, rythme rapide, interaction constante – pour transformer l’audience en une communauté mobilisée autour de la solidarité.
En cela, ils reprennent l’esprit du Téléthon télévisé, mais adapté à l’univers et aux pratiques numériques de la jeune génération.

ZEvent : un cas emblématique de streaming caritatif à grande échelle

Si tous les événements ne bénéficient pas de la même visibilité ni de la même force de frappe, le ZEvent constitue un exemple spectaculaire de l’engagement du monde vidéoludique. En 2025, plus de 16 millions d’euros ont été récoltés en 55 heures de live. Avec un pic à plus de 750 000 spectateurs simultanés, l’événement incarne ce que ce modèle peut produire dans sa forme la plus massive.
- Une mobilisation massive : 327 streamers, 296 175 viewers en moyenne (pour l’édition 2025).
- Des dons modestes mais nombreux : 739 857 dons dont 371991 strictement inférieur à 5 € (pour l’édition 2025)
- Des mécaniques efficaces : merchandising (vente de t-shirt, etc), objectifs de dons, mini-jeux, animations en direct (Le quiz hardcore du Grenier).
- Une diversité de causes : les dons sont répartis entre plusieurs associations agissant dans les domaines de la santé, l’enfance, l’écologie, la solidarité et les droits humains.
- Un format hybride : des streamers réunis dans un lieu central, d’autres à distance – permettant une plus grande inclusion.
Ces chiffres ne doivent cependant pas occulter la diversité des événements plus modestes mais tout aussi significatifs, à l’instar de Speedons, Desert Bus de l’Espoir ou Games Done Quick, qui mobilisent chaque année des milliers de spectateurs et récoltent des sommes importantes pour des causes variées.
Des millions d’euros récoltés : des chiffres impressionnants
Une dynamique exponentielle
Depuis 2016, les événements caritatifs (recensés) en lien avec le jeu vidéo ont permis de récolter plus de 73 millions d’euros. Une dynamique impressionnante, illustrée par le graphique ci-dessous, qui témoigne à la fois de l’essor du streaming caritatif et de l’engagement croissant de la communauté vidéoludique.

Des causes variées : santé, urgence, égalité, environnement…
Les premières éditions du ZEvent ont mis en avant des associations généralistes : Médecins sans frontières (2018), Institut Pasteur (2019), ou Action contre la Faim (2021). Progressivement, les organisateurs ont élargi le spectre : défense de l’environnement (2022), solidarités étudiantes, logement, agriculture (2024) ou encore aidants et soignants (2025).
En parallèle, d’autres événements comme SpeeDons ont fait le choix de la continuité en soutenant année après année Médecins du Monde, tandis que des initiatives plus ponctuelles (Stream for Humanity, Streamers for Palestinians) se sont ancrées dans l’actualité géopolitique.
Certaines causes traditionnellement peu visibles dans l’espace public ont aussi trouvé un écho dans ces événements : soutien aux femmes victimes de violence (Et Ta Cause), lutte contre le cyberharcèlement, santé mentale (A-Live), ou l’aide à l’enfance (Battle4, Désert Bus de l’Espoir).
Voir le tableau complet des causes et des sommes année par année (depuis 2016)
NB : Ce tableau recense les principaux événements caritatifs liés au jeu vidéo depuis 2016, mais il n’est ni exhaustif, ni définitif.
| Événement | Année | Cause | Somme récoltée |
|---|---|---|---|
| Stream for Humanity 2 | 2025 | récolter des fonds pour lutter contre la faim dans le monde (Palestine, RDC, Soudan, Nigeria, France) | 1 601 085 € |
| Stream for Humanity | 2025 | soutenir les populations affectées par des conflits en République démocratique du Congo, en Palestine, au Soudan et au Liban | 3 514 812 € |
| A-live | 2025 | Fondation Analgesia | 190 310 € |
| ZEvent 2025 | 2025 | Aidants et soignants | 16 179 096 € |
| SpeeDons 2025 | 2025 | Médecins du Monde | 2 231 146 € |
| Le stream Génial | 2025 | fonds d’urgence de l’UNICEF | 123 449 € |
| A-live | 2024 | Fondation Analgesia | 118 311 € |
| Téléthon Gaming | 2024 | recherche sur les maladies génétiques rares et au soutien des familles | 360 614 € |
| ZEvent 2024 | 2024 | Secours populaire français, Cop1 – Solidarités Étudiantes, les Bureaux du Cœur, Solidarité Paysans et Chapitre 2 | 10 145 881 € |
| SpeeDons 2024 | 2024 | Médecins du Monde | 2 066 663 € |
| Stream On for Kids 2024 | 2024 | Association 116 000 Enfants Disparus | 23 542 € |
| Streamers for Palestinians | 2024 | récolter des fonds en faveur des actions en Palestine et en Cisjordanie de l’ONG Médecins du Monde | 1 000 000 € |
| Furax 2024 | 2024 | Féministes contre le cyberharcèlement | 151 754 € |
| Et Ta Cause | 2024 | En avant toute(s) | 121 147 € |
| Battle4 | 2023 | Handicap International et Premiers de Cordée | 400 000 € |
| A-live | 2023 | Fondation Analgesia | 140 168 € |
| Téléthon Gaming | 2023 | recherche sur les maladies génétiques rares et au soutien des familles | 314 502 € |
| Gaming for Sidaction | 2023 | Sidaction | 122 105 € |
| SpeeDons 2023 | 2023 | Médecins du Monde | 1 252 637 € |
| Furax | 2023 | Elle’s Imagine’nt | 57 367 € |
| Et Ta Cause | 2023 | Planning familial | 73 005 € |
| Desert Bus de l’Espoir | 2023 | Association Petits Princes | 40 405 € |
| Battle4 | 2022 | Handicap International et Premiers de Cordée | 435 609 € |
| A-live | 2022 | Fondation Analgesia | 150 242 € |
| Téléthon Gaming | 2022 | recherche sur les maladies génétiques rares et au soutien des familles | 204 532 € |
| Gaming for Sidaction | 2022 | Sidaction | 170 000 € |
| ZEvent 2022 | 2022 | Défense de l’environnement (Sea Sheperd, LPO, WWF France, The SeaCleaners) | 10 182 126 € |
| SpeeDons 2022 | 2022 | Médecins du Monde | 802 166 € |
| Et Ta Cause | 2022 | En avant toute(s) | 42 070 € |
| A-live | 2021 | Fondation Analgesia | 83 771 € |
| Téléthon Gaming | 2021 | recherche sur les maladies génétiques rares et au soutien des familles | 110 000 € |
| Gaming for Sidaction | 2021 | Sidaction | 180 000 € |
| ZEvent 2021 | 2021 | Action contre la faim | 10 064 480 € |
| SpeeDons 2021 | 2021 | Médecins du Monde | 614 255 € |
| Et Ta Cause | 2021 | Fondation des femmes | 25 535 € |
| Desert Bus de l’Espoir | 2021 | Association Petits Princes | 70 609 € |
| ZEvent 2020 | 2020 | Amnesty International | 5 724 377 € |
| Desert Bus de l’Espoir | 2020 | Association Petits Princes | 62 265 € |
| Téléthon Gaming | 2019 | recherche sur les maladies génétiques rares et au soutien des familles | 16 000 € |
| ZEvent 2019 | 2019 | Institut Pasteur | 3 509 878 € |
| Desert Bus de l’Espoir | 2019 | Association Petits Princes | 50 300 € |
| ZEvent 2018 | 2018 | Médecins sans frontières | 1 094 731 € |
| Desert Bus de l’Espoir | 2018 | Association Petits Princes | 49 700 € |
| ZEvent 2017 | 2017 | Croix-Rouge française | 451 851 € |
| Desert Bus de l’Espoir | 2017 | Association Petits Princes | 49 350 € |
| Projet Avengers | 2016 | Save the Children (Ethiopie) | 170 770 € |
| Desert Bus de l’Espoir | 2016 | Secours Populaire Français | 42 003 € |
| Desert Bus de l’Espoir | 2015 | Secours Populaire Français | 32 673 € |
| Desert Bus de l’Espoir | 2014 | Secours Populaire Français | 26 214 € |
| Desert Bus de l’Espoir | 2013 | Secours Populaire Français | 16 221 € |
| 74 659 727 € |
Un nouveau mode de médiation pour les associations
Pour les associations bénéficiaires, ces événements représentent bien plus qu’un simple apport financier. En 2023, Virginie Poux, chargée de l’innovation à Médecins du Monde, rappelait que les dons issus du ZEvent représentaient jusqu’à 5 % des dons ponctuels annuels de l’organisation. Mais au-delà des chiffres, elle soulignait l’importance d’un contact direct avec le public, rendu possible par les plateformes comme Twitch.
Interviews en direct, questions posées par le chat, discussions sans filtre avec les organisateurs : les événements caritatifs vidéoludiques offrent aux associations et ONG un espace d’expression inédit, capable de sensibiliser un public jeune, souvent éloigné des canaux de communication traditionnels.
Des bundles solidaires qui mêlent achat et militantisme
En parallèle du streaming, le jeu vidéo caritatif passe aussi par la vente. Sur des plateformes comme Humble Bundle ou Itch.io, des « bundles » (regroupements de jeux vendus à bas prix) permettent de reverser les bénéfices à des associations.
Humble Bundle : pionnier de la vente caritative
Lancé en 2010, Humble Bundle a popularisé le modèle du « pay what you want » : l’utilisateur choisit le montant de son achat et la répartition entre les développeurs, la plateforme et l’association soutenue. Mais depuis son rachat par IGN (Imagine Games Network) en 2017, la plateforme a perdu de sa transparence : en 2021, elle a tenté de supprimer la liberté de répartition, imposant un prélèvement obligatoire de 15 à 30 % au profit de la plateforme.

Itch.io : une alternative plus engagée
Face à ce virage, Itch.io s’est imposé comme une alternative radicalement différente. Créé en 2013, ce site met l’accent sur l’autonomie des développeurs, qui peuvent fixer eux-mêmes le pourcentage prélevé. En 2020, le Bundle for Racial Justice and Equality réunit 1 741 jeux et rapporte plus de 8 millions de dollars sans qu’aucun centime ne soit prélevé.

Depuis, Itch.io multiplie les initiatives : Games for Gaza, Indie Bundle for Palestinian Aid, Worthy of Better (droits reproductifs), Ukraine Bundle. La communauté valorise avant tout le message, l’engagement politique, plutôt que la mise en avant des titres inclus.
Les studios et éditeurs s’engagent eux aussi
Les studios et éditeurs de jeux vidéo, grands ou petits, s’impliquent de plus en plus dans des actions de solidarité, en utilisant leur force de frappe médiatique ou leur plateforme technique pour soutenir des causes.
Du contenu in-game pour la bonne cause
Certains choisissent de vendre des contenus in-game à visée caritative. L’éditeur Blizzard a ainsi proposé un skin rose de Mercy (Overwatch) pour la lutte contre le cancer du sein, récoltant plus de 12 millions de dollars. Digital Extremes, avec Warframe, organise régulièrement des campagnes solidaires comme « Movember » ou « TennoBaum », lors duquel l’entreprise donne une partie des revenus des achats en jeu à des magasins de jouets.

Des réactions aux urgences mondiales
Face à des urgences internationales, d’autres studios optent pour des opérations ponctuelles massives. En 2022, Epic Games a reversé l’intégralité des recettes de Fortnite pendant deux semaines au profit d’ONG humanitaires pour l’Ukraine, totalisant 144 millions de dollars.

L’engagement structuré des éditeurs
Enfin, certains éditeurs intègrent cet engagement dans leur stratégie globale. Riot Games a mis en place un Social Impact Fund, financé par les achats en jeu et redistribué aux ONG choisies par les joueurs. Ubisoft, via son service Impact Sociétal, soutient des projets culturels et éducatifs, comme après l’incendie de Notre-Dame ou à travers ses initiatives pour l’éducation.
Qu’ils soient ponctuels ou structurels, ces engagements montrent que les grandes entreprises du secteur peuvent, elles aussi, transformer le jeu vidéo en levier d’action concrète.
Une générosité qui questionne aussi
Malgré les bonnes intentions, plusieurs controverses ont émaillé ces initiatives :
Qui décide des causes ?
En 2022, le ZEvent a été au centre d’une controverse autour de la sélection des associations environnementales. Certaines ONG, pourtant militantes, ont été jugées trop radicales par une partie de la communauté. Face à cette pression, les organisateurs ont revu leur formule et décidé de répartir les dons entre plusieurs structures. Cela a soulevé une question centrale : qui décide quelles causes méritent d’être soutenues ? Et selon quels critères ?
Un modèle vraiment durable ?
Certains critiques ont pointé du doigt l’empreinte carbone de ces événements, en particulier ceux organisés en présentiel avec des dizaines de participants, des équipements énergivores et des déplacements parfois longue distance. À l’heure où de nombreux streamers s’engagent pour l’environnement, cette contradiction soulève un dilemme : comment organiser des événements massifs tout en restant cohérents avec des objectifs écologiques ?
La question de la transparence des dons
Si les grandes plateformes publient généralement les montants globaux, il reste difficile de savoir comment les dons sont répartis dans le détail entre les ONG bénéficiaires, les coûts de fonctionnement ou les commissions prélevées.
Dans un souci d’exemplarité, certains organisateurs prennent le contre-pied. En 2022, ZeratoR s’est rendu en République centrafricaine pour documenter les actions financées par l’édition du ZEvent dédiée à Action contre la Faim, qui avait permis de lever plus de 10 millions d’euros. Cette initiative visait à renforcer la transparence et à montrer concrètement comment les dons des spectateurs sont utilisés sur le terrain.
Caritatif ou opportunisme marketing ?
Enfin, certains observateurs et participants pointent une dérive possible : que la charité devienne un levier marketing, un outil d’image parmi d’autres pour les studios ou les influenceurs. Dons spectaculaires, annonces sur les réseaux sociaux, campagnes d’autopromotion… L’intention de départ peut parfois être brouillée par une logique de mise en scène qui sert autant la cause que la notoriété des participants.
Certains viewers expriment parfois le sentiment que la frontière se brouille entre engagement authentique et gestion d’image. Ces critiques reviennent notamment lorsqu’un créateur, déjà au cœur de polémiques (exil fiscal, partenariats douteux, comportements jugés problématiques), participe à un événement caritatif : une partie du public y voit alors une forme de charity-washing, c’est-à-dire l’utilisation d’une action solidaire pour redorer sa réputation.
Ces débats ne diminuent pas l’importance des sommes collectées, mais ils révèlent les attentes fortes des communautés, qui scrutent la cohérence entre les valeurs affichées, les pratiques réelles et l’usage de la « bonne cause » dans la communication. Pour les enseignants, ces discussions constituent un excellent levier d’éducation aux médias, car elles permettent d’aborder avec les élèves les questions de sincérité, de confiance, de réputation numérique et de stratégies d’influence.
Le jeu vidéo n’est plus seulement un espace de divertissement. Il est devenu un vecteur d’engagement, un outil de mobilisation, un miroir des luttes contemporaines. Streaming, bundles, contenu in-game ou création militante : les formes d’action se diversifient.
