La Révolution culturelle ou l’épuration idéologique du patrimoine chinois

La Révolution culturelle que connait la Chine entre 1966-1976 détermine le paroxysme idéologique du dictateur Mao Zedong. Tournant majeur du XXème siècle, cette lutte pour le pouvoir politique au sein du communisme chinois marqua le pays sous bien des aspects.

par Marie GIRAUD

Enfant allongé au milieu des décombres d’un temple tibétain saccagé. (Date et auteur inconnus)

A la fin des années 50, la Chine est marquée par l’échec cuisant du Grand Bond en avant, le programme de réformes économiques initié par le leader communiste Mao Zedong qui entraîne une immense famine responsable de dizaines de millions de morts. Le Grand Timonier tel qu’il est surnommé est affaibli politiquement et fait face à une opposition naissante, incompatible avec la dictature maoïste instaurée au début de sa présidence du Parti Communiste chinois en 1949. Ecarté du pouvoir et remplacé par l’influent Liu Shaoqi, Mao doit à tout prix retrouver sa stature d’antan. Pour arriver à ses fins, Mao va dès lors enclencher en 1966 ce qu’il qualifie de « révolution permanente » : la tristement célèbre « Révolution Culturelle », originellement intitulée « grande révolution culturelle prolétarienne ».

                En quoi consiste cette révolution ?  

Un unique mot pourrait servir de réponse : celui d’épuration. Pour Mao, les « ennemis contre-révolutionnaires » doivent être éliminés. Marxiste de la première heure, Mao administre cette purge de l’élite intellectuelle, professeurs, artistes et cadres du parti surtout, avec la même ténacité que Staline lors de la Terreur Rouge de 1937. Le dictateur mobilise la jeunesse qui l’idolâtre à travers les Gardes rouges  et distribue à l’ensemble de la population le « Petit Livre Rouge », un recueil de ses discours visant à endoctriner les masses. Dénonciations, tortures, déportations,  exécutions et humiliations publiques définissent la décennie que connait la Chine durant la révolution culturelle. Le président Liu Shaoqi est arrêté par les Gardes rouges ; l’auteur du petit livre rouge et successeur de Mao Lin Biao est assassiné ainsi qu’une multitude d’opposants politiques ou de citoyens chinois jugés comme la nouvelle « bourgeoisie rouge ». Mao met alors en cause ce qu’il  intitule les « Quatre vieilleries » : idées, coutumes, cultures et habitudes antérieures à la fondation de la République populaire de Chine en 1949. Les jeunes des Gardes rouges galvanisés par le discours socialiste s’attaquent à leurs professeurs et aux intellectuels qu’ils humilient et exécutent. Les pertes humaines sont considérables : entre 3 et 5 millions de victimes selon différents historiens. Toutefois, l’épuration idéologique maoïste d’une pensée « capitaliste » passe aussi par la destruction de l’immatériel : preuve concrète et immuable de ce qu’était la Chine jadis.

Le patrimoine mis à mal

Le despote fait ainsi table rase du passé. La répression de toutes formes de croyances conduit à une destruction des édifices religieux : temples, églises et mosquées sont fermés et/ou détruits, les statues de Bouddha sont décapitées. La région du Tibet subit notamment un massif démantèlement de ses monastères et de la quasi-totalité de son patrimoine religieux : au début des années 80, seule une dizaine des milliers de temples de lamas qui existaient à la fin des années 50 étaient intacts. La révolution culturelle s’attaque également à tout ce qui est susceptible d’être ou de s’engager « sur la voie du capitalisme », tout ce qui va finalement à l’encontre de l’idéologie communiste de Mao Tsé-Toung. Ainsi, des livres anciens sont brulés au cours d’immenses autodafés, des objets anciens sont détruits à l’instar de photographies et souvenirs de certains chinois jugés « contre-révolutionnaires ». La Grande Muraille est elle aussi mutilée, ôtée de quelques-unes de ses pierres pour la construction de porcheries. La ville d’origine du philosophe Confucius (551 av. J.-C- 479 av. J.-C.), Qufu, est par exemple mise à sac (elle est inscrite en 1994 au Patrimoine mondial de l’UNESCO). Toutefois, grâce au Premier ministre Chou Enlai qui, dès 1966, ordonne leur fermeture, certains lieux inestimables tels que la Cité Interdite ou le temple des Lamas à Pékin échappent à la vague destructrice.   

 

Un passé douloureux ?

            La Révolution culturelle prend définitivement fin à la mort de Mao en 1976, laissant derrière elle une Chine ruinée en proie au chaos. Bien que reconnu par le PC chinois en 1981 comme une «catastrophe pour le Parti, l’Etat et le peuple tout entier», l’échec de Mao est à demi-mots admis par ses successeurs qui estiment sa politique constituée de « 30 % d’erreurs pour 70 % d’actions bénéfiques ». Alors que nombre d’anciens gardes rouges encore en vie admettent aujourd’hui avoir été contraints d’agir et regrettent leurs actes, le Grand Timonier est toujours célébré dans le pays avec par exemple d’impressionnantes statues en bronze à son effigie dans des villages qui deviennent de véritables lieux de pèlerinages. Taboue, la Révolution culturelle est passée sous silence par la dictature communiste qui perdure dans le pays depuis les années 80. A ce sujet, le sinologue français Michel Bonnin parlait de « négationnisme historique » dans un entretien accordé au quotidien Le Monde le 17 mai 2016. Toutefois, la décennie destructrice reste dans les mémoires de ceux qui, toujours vivants, en ont été les protagonistes et/ou victimes.

Liens sources :

Vidéo Youtube France 24 : https://www.youtube.com/watch?v=3L5L3RPHghY

Conférence du 24/03/2014 par le philosophe Alain Badiou : https://www.youtube.com/watch?v=S491NAvwzUw

Vidéo Le Monde en Cartes : https://www.youtube.com/watch?v=o9v-zkVisDs

Article Hérodote : https://www.herodote.net/18_aout_1966_27_janvier_1968-evenement-19660818.php

Article Libération : https://www.liberation.fr/planete/2016/09/30/le-petit-livre-rouge-arme-de-diffusion-massive_1516280/

Article Le Monde https://www.lemonde.fr/idees/article/2016/05/17/la-revolution-culturelle-un-spectre-qui-hante-la-chine_4920905_3232.html

Article Sciences et Avenir : https://www.sciencesetavenir.fr/sante/epigenetique-les-descendants-des-victimes-de-la-revolution-culturelle-chinoise-heritent-de-leur-traumatisme_109735

Encyclopédie Universalis : https://www.universalis.fr/media/VI000015/

Wikipédia sur la RC au Tibet : https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volution_culturelle_au_Tibet