Le 24 mars 1989, le superpétrolier Exxon Valdez s’échoue sur la côte Sud de l’Alaska, 40 km au large du port de Valdez. C’est une marée noire sans précédent, à l’époque la plus importante des États-Unis: 7 000 km de marée noire, 40 000 tonnes de pétrole brut déversé dans l’océan, 800 km de côtes recouvertes. Cet accident a un retentissement mondial, les populations se mobilisent, dénoncent l’incapacité de la société Exxon Mobil et de l’inefficacité du gouvernement américain. Il a des conséquences sur l’environnement et la biodiversité mais aussi sur la législation des transports maritimes, principalement des pétroliers.
Mais comment cette catastrophe s’est-elle déroulée? Quelles conséquences a-t-elle eu? Pourquoi le monde en parle-t-il encore, 40 après?

Malchance ou incompétence?
Ce pétrolier de 300 m de long transportait 180 000 tonnes de pétrole brut, à destination de Long Beach en Californie. Il quitte le port vers 21h15, démarre sans encombre son trajet. La route maritime est souvent empruntée, le temps est clément: légère bruine, mer calme, vent faible, comment le naufrage de l’Exxon Valdez a-t-il pu se produire?
L’équipage est détendu, le capitaine Hazelwood quitte son poste avant que le pétrolier n’atteigne la pleine mer, la vigie également n’est pas sur le pont. Les commandes sont passées au lieutenant Collins, marin le moins expérimenté du personnel, qui se retrouve seul. Ce dernier est fatigué, selon certains il travaille depuis plus de 18h. C’est un peu avant minuit que la situation commence à déraper. La vigie signale une balise rouge à droite du navire, elle ne devrait pas être là. Cette balise signale le récif du banc Blight, 10 mètres sous la surface. Le pétrolier heurte le récif. L’équipage ressent de violentes secousses, la panique commence à monter. A 00h09, le pétrole commence à s’échapper des cuves: la marée noire commence.
Nous avons échoué, euh, manifestement nous perdons du pétrole et nous sommes coincés là pour un moment et, euh, voilà, vous êtes informés
Capitaine Hazelwood aux gardes-côtes
Une organisation désastreuse
L’incident résonne dans tout le pays, a également un impact sur les relations entre les États-Unis et le Canada. Pourtant le pouvoir se présente comme calme et confiant face à la catastrophe.
Je ne suis pas inquiet, je suis rassuré mais je suis vigilant, […] les rapports que nous avons nous rassurent.
Lucien Bouchard, ministre fédéral de l’environnement canadien
Le nettoyage est pourtant difficile, 270 000 barils de pétrole brut se sont échappés du navire en une nuit. L’Exxon Valdez répand son pétrole depuis plus de 9h sans aucune aide, aucune barrière flottante de confinement, aucun système de pompage. Quelques jour après la catastrophe, une nouvelle difficulté s’ajoute: une tempête et des vents violents étalent la nappe de pétrole sur plus de 64 km. Les techniques de nettoyage de l’époque sont inefficaces. En effet ces produits sont conçus pour des eaux agitées, permettent de faire couler le pétrole, les eaux du Détroit du Prince William sont calmes. Des moyens encore jamais vu sont mobilisés pour nettoyer les alentours: des dizaines de milliers de bénévoles, 1 400 navires, 85 hélicoptères. 2 jours après le naufrage, Exxon Mobil mobilise un autre pétrolier, le Exxon Baton Rouge pour récupérer le reste de sa cargaison pétrolière tant bien que mal. Les opérations de nettoyage seront tellement désorganisées qu’il y en aura deux: la première en 1989, totalement inefficace, et la 2ème un an plus tard, organisée par les autorités américaines, qui réussit à nettoyer partiellement la zone.
Le naufrage du superpétrolier a des conséquences écologiques désastreuses. Dès les premiers jours, les autorités locales s’inquiètent: le détroit du Prince William est un lieu qui regorge d’épaulards, de phoques, d’otaries, de lions de mers et même de loutres dont c’est leur période de reproduction. Les animaux sont donc davantage présents à cette époque de l’année, ils sont parmi les premiers à être touchés par cette marée noire. 300 000 oiseaux, des milliers de mammifères marins et une vingtaine de baleines environ trouvent la mort. Les aigles également voient des proies faciles dans ces poissons recouverts de pétrole mortel, les ramener dans leur nid près des oisillons tuerait ces derniers.
Nous marchons sur les plages. Mais au lieu d’y trouver la vie, nous trouvons la mort. Des oiseaux morts. Des loutres mortes. Des algues mortes.
Walter Meganack Senior, chef du village de Port Graham

Il y a également des conséquences sur la vie locale. La marée noire de l’Exxon Valdez a marqué les populations, semblable à un traumatisme, certains ne veulent même pas en parler. En effet la majorité vit de la pêche, directement impactée par la catastrophe, les poissons meurent et sont intoxiqués par la nappe de pétrole. Pendant plus de 3 mois la situation est plus que critique, la pêche est impossible. Mais les répercussions se font sentir encore longtemps après, même jusqu’à nos jours.
Les populations se mobilisent donc, de nombreux bénévoles essayent d’aider les animaux, récupèrent les oiseaux pour les envoyer dans des centres de soins, s’arment de lances pour asperger le sol d’eau chaude, ou avec des moyens plus rustiques frottent les rochers avec des serviettes absorbantes. La société Exxon Mobil et Exxon et Veco vont même jusqu’à payer des habitants pour nettoyer les plages souillées. Certains acceptent, ils sont sans revenus, désespérés. D’autres refusent fermement, signe de révolte contre ces sociétés qui ont détruit leur lieu de vie.

La catastrophe se fait encore sentir
Nous pourrions penser qu’une fois la marée noire passée, les plages nettoyées et les animaux sauvés on ne parlerait plus de Exxon Valdez. Mais non! Et c’est bien l’une des spécificités de cette tragédie. Pourtant quand on regarde ces rivages, ces plages, pas de pétrole en vue.
Les animaux pourtant sentent encore les effets de la marée noire. Certains comme les phoques ont réussi à se remettre de la catastrophe après 17 ans. Les loutres également, parmi les premières touchées en 1989, ont retrouvé leur population normale 24 ans après, en 2013. D’autres ne se sont jamais remis comme les orques et les harengs, le nombre d’individus est plus bas que la normale. Le sol est encore souillé en profondeur. Des chercheurs ont exécuté des forages, 20 mètres sous le sol, du pétrole brut est encore là, impactant la biodiversité, empoisonnant les animaux et les cours d’eau.
Comme dit précédemment, les conséquences se voient aussi sur la population. Les habitants du Detroit du Prince William sont traumatisés, méfiants face aux grandes entreprises mondiales. Des tensions apparaissent entre eux, la pauvreté augmente. Certains parlent même de stress post-traumatique. La violence domestique, l’anxiété et même l’alcoolisme se sont introduits dans la vie familiale. L’économie a chuté, la pêche étant directement reliée à la faune et la flore locale.
C’est toujours d’une grande beauté, bien sûr, mais l’écosystème ne s’est jamais remis de la marée noire.
Joe Banta, pêcheur de hareng
Une histoire sans fin?
La catastrophe de l’Exxon Valdez a été la plus chère de l’Histoire jusqu’à la marée noire du Golfe du Mexique de Deepwater en 2010, la société Exxon Mobil a du débourser plus de 2 milliards de dollars pour nettoyer les plages de Valdez. Mais cela n’as pas suffit à rattraper leur image, ils ont été lynchés dans les médias: journaux, télévision, radios: tout le monde parle de la marée noire, de l’incapacité de Exxon Mobil et de l’équipage à bord.
Pourquoi le troisième lieutenant non certifié était-il aux commandes du pétrolier lorsqu’il s’est échoué ? Les membres de l’équipage étaient-ils sous l’influence de l’alcool ou d’autres drogues ? Les opérations de nettoyage ont-elles commencé assez tôt ? (Les écologistes, le gouverneur et d’autres représentants de l’État disent que non.)
Chicago Tribune, 28 Mars 1989
Et c’est vrai, une série de maladresses et d’erreurs ont menés au naufrage du superpétrolier. Une enquête suivra la catastrophe, le personnel sera interrogé, la chronologie étudiée. Celle-ci révèlera que la capitaine Hazelwood était saoûl ce soir là, que la procédure n’as pas été respectée, et qu’il n’avait pas l’autorisation de diriger le superpétrolier dans cette zone. Il est immédiatement licencié, un procès est entamé. Mais le capitaine est ensuite acquitté, même si reconnu coupable de de négligences.
Mais ce n’est pas le seul procès; le gouvernement américain, l’Etat d’Alaska et des milliers d’associations entament une procédure contre Exxon Mobil, des appels successifs jusqu’à ce qu’enfin la société pétrolière soit condamnée. C’est le 8 Octobre 1991 que l’amende tombe: 125 millions de dollars. Une seconde procédure, 3 ans plus tard, condamnera 5 milliards de dommages et intérêts.
Pendant 15 ans Exxon Mobil fera appel, jugeant l’amende “excessive”. En 2006 elle est ramenée à 2,5 milliards de dollars pour finalement, en 2008, être accordée à 500 millions de dollars. L’amende est donc divisée par 10, ce qui révoltes associations et habitants.
Les populations locales qui étaient parmi les premières impactées ont été dédommagées, selon certains pas suffisamment. En effet les 1 400 pêcheurs et Inuits ont reçu environ 287 millions de dollars de dédommagement. Nous pouvons dire que les dégâts étaient estimés à 15 milliards de dollars.
Une législation modifiée
Cette catastrophe est retentissante, les États se mobilisent. Au delà des conséquences écologiques, la marée noire de l’Exxon Valdez aura des conséquences sur la législation maritime, en particulier des pétroliers.
Des normes plus strictes sont imposées, un plan de l’ONU est mis en place. Ce dernier va interdire les pétroliers à simple coque pour introduire les pétroliers à double coque. Les premiers n’avaient qu’une paroi métallique entre les hydrocarbures et l’océan tandis que les seconds apportent plus de protection, surtout en cas de choc.
L’usage des radars est également encouragé, surtout avec la hausse du niveau des technologies modernes. Les risquent sont donc réduits, la sécurité augmentée.

Cette législation n’est cependant pas parfaite, des catastrophes pétrolières se produisent encore. En Mars 2019 par exemple, le Grande America s’échoue au large des côtes françaises dans le Golfe de Gascogne. Ce pétrolier transportait 2 200 tonnes de fuel, heureusement il repose intact au fond de l’océan, les fuites ont été colmatées.
Sources
- https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/recit-le-24-mars-1989-l-exxon-valdez-noircit-le-golfe-d-alaska-avec-39000-tonnes-de-petrole_3231417.html
- https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/547
- https://www.novethic.fr/actualite/environnement/pollution/isr-rse/exxon-valdez-deepwater-bhopal-teflon-chevron-un-cout-de-la-pollution-qui-reste-tres-aleatoire-148789.html
- https://www.franceculture.fr/ecologie-et-environnement/de-lexxon-valdez-au-grande-america-comment-eviter-les-pollutions-maritimes
- https://www.universalis.fr/encyclopedie/maree-noire-de-l-exxon-valdez/
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Exxon_Valdez
- https://fr.wikipedia.org/wiki/ExxonMobil
- https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1299158/exxon-valdez-petrolier-catastrophe-ecologique-alaska-justice-archives