Au Turkménistan, le dictateur s’offre une statue en or de son chien

   Le dictateur Turkmène a inauguré une statue en or de sa race de chien préférée en plein cœur de sa capitale, Achgabat, dans un luxueux nouveau quartier résidentiel destiné aux fonctionnaires. Une cérémonie officielle, coûteuse et démesurée qui détonne avec la pauvreté ambiante de sa population.

Texte : Charlotte Giraud –

La statue, avec un écran vidéo montrant le chien en action, se dresse sur un rond-point

C’est une nouvelle qui pourrait faire sourire.  Pourtant, au Turkménistan, cette statue n’a rien d’une simple plaisanterie. Du moins, pas aux yeux de son président Gourbangouly Berdymoukhamedov, surnommé le patron, qui a fait inaugurer ce mardi 10 novembre en plein cœur de sa capitale un monument à l’honneur de son chien préféré, le berger d’Asie centrale, appelé « Alabai » dans le pays. Erigée sur plus de 6 mètres et en or massif, ce nouvel édifice permet, selon Berdymoukhamedov, de souligner « leur rôle dans le destin historique de la nation et la place qu’ils occupent dans la vie du peuple » et de « rendre hommage au courage et au grand cœur de ces animaux remarquables ». Mais outre la propagande, ce chien occupe une réelle place dans le cœur des Turkmènes, en particulier dans le monde rural, où sont organisés régulièrement des combats canins, un divertissement populaire dans le pays.

En 2017, le dirigeant turkmène avait offert un chiot alabai à Vladimir Poutine pour ses 65 ans baptisé Verny (Fidèle), symbole de son rayonnement culturel à l’échelle continentale. La même année, la race  était choisie comme mascotte pour les Jeux asiatiques d’arts martiaux, organisés sur le territoire Turkmène. Un moment fort dans la mouvance d’ouverture au monde pour le pays, en quasi-autarcie depuis une vingtaine d’années.

Maxim Shemetov – Reuters

UNE GOUVERNANCE REPRESSIVE… ET UBUESQUE

Cette statue n’est pas sans rappeler celle de son prédécesseur, Saparmourat Niyazov, connu sous le nom de chef de tous les Turkmènes, au pouvoir de 1985 à 2006. Le dictateur fait ainsi bâtir en plein cœur de sa capitale un monument à son effigie, plaqué d’or massif en rotation sur lui-même, de telle sorte que l’édifice soit en permanence orienté vers le soleil.    Véritable despote, c’est lui-même qui instaure au Turkménistan la notion de culte de la personnalité, avec une succession de réformes anti-démocratiques et adulatrices mises en place afin de renforcer l’image de « père de la nation » et d’affirmer son pouvoir autoritaire au sein de sa population. Il renomme par exemple les jours de la semaine ou les mois de l’année à son nom ou avec ceux des membres de sa famille ; ou impose l’étude obligatoire dans les collèges, lycées et universités de son livre, le « Ruhnama », qu’il qualifie de « précepte au peuple », au même rang que la Bible ou le Coran.

Berdymukhamedov, ancien dentiste du dictateur et ex ministre de la santé au pouvoir depuis 2007 après obtention de près de 90% des suffrages, semble reprendre son flambeau. Si l’Alabai occupe une grande place dans sa stratégie de communication, il n’en reste pas moins un grand fan de course automobile et de sport équestre notamment. Avec l’inauguration en 2015 d’une statue de vingt mètres de hauteur, “recouverte d’une feuille d’or de 24 carats” le représentant au dos d’un cheval, le président affirme son admiration pour les Akhal-Teke, une race d’équidés originaire d’Asie centrale, animal emblème et sacré au Turkménistan.  

Ce dernier multiplie ainsi les apparitions publiques et les décisions plus loufoques les unes des autres. Dès son élection, il fait repasser le permis de conduire à toutes les femmes du pays sans distinctions d’âges, estimant  que ces dernières « ne savaient pas conduire ». En 2010, le président « bannit » la cigarette et la couleur noir du pays, qu’il prétend haïr, et fait stopper la production de voiture de cette couleur. Plus récemment, il met en place un nouveau décret interdisant aux hommes Turkmènes de se teindre les cheveux afin de ne pas paraître plus jeune que lui. Enfin, « grand sportif » selon ses propres dires, il obtient le titre de « maître des sports du Turkménistan » après ses quatre victoires successives au rallye annuel organisé dans le pays, face à des adversaires étonnement lents ou ralentis par divers « incidents ».

Quatrième plus grande réserve de gaz au monde et premier fournisseur de la Chine, le Turkménistan, peu évoqué sur le devant de la scène politique et économique internationale, dirige pourtant sa population avec une main de fer. Enrichi grâce à son pouvoir exportateur, le pays se classe parmi les derniers de la planète en termes de liberté individuelle et de la presse. 

Derrière son homologue nord-coréen Kim Jong Hun. Bannissant toutes organisations occidentales de défense des droits humains, les visas touriste, au prix exorbitant de 5000$, ne sont distribués qu’au compte-goutte, limitant la potentielle fuite ou entrée d’information susceptible de mettre à mal sa réputation à l’échelle territoriale mais également internationale. Les médias se retrouvent muselés, l’information contrôlé et la parole censuré, schéma classique d’un régime totalitaire.

Connu pour son goût avéré du luxe et de la démesure, ce sont ses investissements et sa gestion catastrophique du budget du pays qui plonge une partie du Turkménistan dans une grande pauvreté, participant au creusement des inégalités, principalement entre les grandes villes et les territoires ruraux laissés pour compte. Avec la construction d’hôtels ou d’aéroports pratiquement vides du fait d’une absence de touristes et d’un taux de précarité élevé, ou plus récemment d’un palais au cœur Achgabat, estimé à plus de 250 millions de dollars, Berdymoukhamedov s’enrichit sur les réserves du pays, avec plus de 23 milliards de dollars détournés dans des banques européennes.

Traumatisé des séquelles laissées par l’invasion de l’URSS sous la guerre froide, Berdymukhamedov supprime ainsi toute influence occidentale ou russe de son territoire pour fonder un pays à son image, cultivant l’ignorance de sa population pour mieux régner. Réélu en 2017 avec 97% des voix, ses habitants, portés par l’espoir d’une ouverture démocratique à la mort de Niyazov en 2007, n’attendent plus rien.

Jouant de son image de despote autoritaire aux prises de parole ou actions extravagantes, le dirigeant n’a pour l’instant officiellement signalé aucun cas de Covid-19 – l’un des très rares pays au monde à ne pas l’avoir fait.