Après un essai de démocratie de 1945 à 1964, le Brésil est frappé par un coup d’état militaire et une dictature est instaurée. Face à ce régime dictatorial sans précédent dans le pays, comment a-t-on peu à peu instauré un état de droit ?
Article redigé par JEAMBRUN Lohan et LEJARD Matthias
Le Brésil est le plus grand État d’Amérique latine. Il est le cinquième plus grand pays de la planète avec une superficie de plus de 8,5 millions de kilomètres carrés (soit 15 fois la France), il couvre donc près de la moitié du territoire de l’Amérique du Sud, partageant des frontières avec la plupart des pays du continent exceptés le Chili et l’Équateur. Le pays compte actuellement une population de 213 millions d’habitants. Le littoral longe l’océan Atlantique. Le Brésil est en partie connu grâce à l’Amazonie forestière au nord-ouest, la forêt avec la plus grande superficie du monde. Historiquement, le Brésil est une ancienne colonie portugaise. Il a donc pour langue officielle le portugais alors que la plupart des pays d’Amérique latine parle l’espagnol. Le Brésil a obtenu son indépendance en 1825 avant de passer par différents régime : empire, oligarchie, démocratie, dictature…
Un coup de force mettant fin à une période démocratique
En 1961, João Goulart, le principal héritier politique de Getúlio Vargas (” père des pauvres“) et leader du Parti travailliste accède à la présidence. Les secteurs les plus conservateurs de l’armée, hostiles à Vargas et donc également Goulart se convainquent alors qu’une révolution va faire basculer le pays dans un régime communiste. En pleine Guerre froide, et alors même que João Goulart n’a rien d’un bolchevique, la droite brésilienne voir rouge. Après trois années de conspirations, un coup d’Etat militaire mené par le maréchal Castelo Branco, soutenu par la bourgeoisie ainsi qu’une partie de la classe moyenne éclate. C’est le 21 mai 1964 ; l’armée dirigera le pays pour 21 ans.
Les généraux militaire n’ont qu’un objectif : éradiquer la “subversion communiste” par la répression et la création d’un régime autoritaire. Ce régime brésilien a une place particulière dans l’histoire de l’Amérique latine : c’est la première dictature de “sécurité nationale“, une politique menée par le gouvernement des États-Unis pour arrêter l’avancée du communisme en Amérique latine. D’autres pays comme l’Uruguay (1973), le Chili (1973) ou encore l’Argentine (1976) suivront ensuite et basculeront dans une dictature. Celles-ci ont toutes largement bénéficié du soutien de la C.I.A. (Central Intelligence Agency, l’agence de renseignement des Etats-Unis). En effet, à partir de la seconde moitié du XXème siècle, les grandes puissances sont scindées en 2 blocs, c’est la Guerre froide. Ces tensions opposent le bloc soviétique avec l’URSS et son régime communiste, dit bloc de l’Est ; et de l’autre côté le bloc des « Alliés », appelé bloc de l’Ouest avec plus spécifiquement les États-Unis et leur régime capitaliste. Les États-Unis, bien que fervents défenseurs de la démocratie, ont, dans ce contexte et de peur que le changement de régime laisse place au communisme, soutenu la mise en place de cette dictature d’extrême-droite. Cela fait partie de ce qu’on appelle la doctrine Truman qui consiste a endigué l’expansionnisme du communisme.
Fracture dans l’armée et “années de plomb”
L’État brésilien est militarisé : la classe politique, pourtant en partie acquise au coup d’État, est remplacée par des officiers et quelques technocrates (responsables politiques qui font prévaloir les données techniques ou économiques sur les facteurs humains). Les règles et valeurs propres à l’armée s’imposent à la société toute entière : mépris pour le débat politique, anti-civilisme, violent anticommunisme. Cependant, il y a deux grands groupes au sein de l’armée brésilienne, le premier souhaite un retour graduel du pouvoir aux civils tandis que le second, plus dur, souhaite l’établissement durable d’une dictature. C’est cette fracture qui explique l’existence de plusieurs phases lors de cette période. En réalité, de 1964 à 1968, il ne s’agit pas formellement d’une dictature. Le Congrès est en effet toujours là, certes affaibli puisqu’il fonctionne avec seulement deux partis, celui de la majorité et celui de l’opposition. La dictature s’établit réellement en 1968 avec l’Acte institutionnel n°5. Cet Acte, promulgué par le président Costa e Silva (de 1967 à 1969), dissout le Congrès, donne au président des pouvoirs dictatoriaux, suspend la Constitution, impose la censure et aboli la plupart des libertés individuelles. Un code de procédure pénale militaire autorise l’armée et la police à arrêter, puis à emprisonner, hors de tout contrôle judiciaire, tout « suspect ». Ces années les plus répressives de la dictature de 1969 à 1974 sont plus communément appelées « années de plomb ». Le pouvoir fonde sa légitimité sur un état de « guerre révolutionnaire ». Pour gagner cette guerre, le pouvoir met en place un appareil d’espionnage puissant avec une police fédérale, une police politique appelées DOPS (Departamento de Ordem Política e Social, Département de l’ordre politique et social) ainsi que les très célèbres cellules d’enquêtes et de torture DOI-CODI (Destacamento de Operações de Informação – Centro de Operações de Defesa Interna, Détachement des opérations d’information – Centre des opérations de défense interne). Et la torture systématique devient une politique d’État, destinée à éradiquer les mouvements armés qui n’apparaissent qu’en 1968 et ne survivront pas à ces années de plomb. En somme, c’est toute l’opposition qui est muselée, tandis que la propagande et la censure pèsent de tout leur poids sur l’opinion. Dans le même temps, le Brésil participe secrètement à une des opérations mondiale de la C.I.A., le “Plan Condor” (1975-1980). Cette opération consiste à défendre l’Amérique entière du communisme. Cette collaboration va donc encore renforcer les liens avec les Etats-Unis. Ce régime et sa politique répressive auraient, d’après la Commission nationale de la vérité (CVN), fait plus 400 victimes avec 10 000 brésiliens contraints de s’exiler. De plus, le régime militaire aurait entraîné la mort d’au moins 8 350 Indiens, victimes d’une politique d’Etat «d’action ou d’omission» qui créait les conditions favorables pour les expulser de leurs terres.
La chute de la dictature brésilienne…
Ulysses Guimarães (politicien anti-dictature), tenant la Constitution de 1988 dans les mains
Durant cette période où cinq généraux-présidents se sont succédé : Castelo Branco 1964-1967, Costa e Silva 1967-1969, Medici 1969-1974, Geisel 1974-1979 et Figueiredo 1979-1985, le Brésil a perdu beaucoup de sa grandeur économique puisque son PIB chute de 7%. Minée par la dette et par un bilan économique catastrophique, la dictature est exsangue. Toutefois, à partir de 1974, le pouvoir tente d’alléger la pression autoritaire afin d’assurer la pérennité d’une tutelle militaire sur les destinées de la nation. L’entreprise échoue : les mouvements étudiant et ouvrier entrent en jeu dès 1977, des manifestations de plus en plus importantes appellent au retour à la démocratie. Le régime observe ainsi un affaiblissement important du soutien car de plus en plus de Brésiliens atteignent le seuil de pauvreté. Les militaires sont totalement abandonnés par l’opinion, qui leur a été longtemps favorable, y compris pendant les années de plomb. En effet, Medici, bénéficiaire de l’euphorie de la haute croissance du début des années 1970 le « miracle économique brésilien », est ainsi à la fois le plus autoritaire et le plus populaire des généraux.
Le général João Figueiredo finira par se retirer du pouvoir au début de l’année 1985 et le régime dictatorial d’Humberto de Alencar tombe avec l’élection de Tancredo Neves, malgré son décès avant la prise de ses fonctions. Il est remplacé par son vice-président José Sarney. La nouvelle constitution est établie le 5 octobre 1988. Petit à petit le pays s’installe et grandit économiquement, il se démarquera avec son entrée dans les pays émergents (B.R.I.C.S.). Le Brésil sort aussi 10% de sa population de la pauvreté et réduit la malnutrition infantile de 46%.
Et aujourd’hui…
La période de la dictature demeure sensible dans la mémoire brésilienne. Une partie des élites et l’armée, qui n’a subi aucune épuration, continuent d’affirmer que le coup d’État a sauvé le pays du communisme. La plupart des archives demeurent aujourd’hui encore fermées à la consultation. Des procédures d’indemnisation des victimes ont été mises en place. Cependant aucun procès des bourreaux n’a pu avoir lieu ; ceux-ci ont su préparer leur départ plusieurs années avant la fin de la dictature avec une loi d’amnistie les protégeant (exemptés de toute poursuite judiciaire) mise en place dès 1979.
Depuis janvier 2019, Jair Bolsonaro est le chef d’Etat du Brésil. Il admire, et ce, très ouvertement, la dictature militaire instaurée entre 1964 à 1985. Idéalisée, la dictature incarne la croissance économique et l’ordre, sans la corruption qui gangrène la société actuelle. Aujourd’hui en crise économique, le Brésil rêve d’un passé largement mythifié qui n’a, en réalité, jamais existé…
Pour aller plus loin :
Films : Voici une liste de 21 films autour du régime militaire brésiliens (assez anciens, de 1967 à 2011 le plus récent) : https://www.cinetrafic.fr/liste-film/4410/1/autour-du-regime-militaire-bresilien
Documentaires : réalisés par le cinéaste de Rio de Janeiro Silvio Tendler et plusieurs autres réalisateurs (les sous titres francais ne sont pas disponibles sur tous) : https://www.autresbresils.net/Dictature-Bresilienne-7-documentaires-de-Silvio-Tendler
ou, documentaire “Brésil, du coup d’Etat de 1964 à la Commission Vérité” de 30min réalisé par le Centre d’Histoire Social (CHS) disponible sur youtube : https://youtu.be/jVVZbP2V72M
Livres : “Dictature et lutte pour la démocratie au Brésil (1964-1985)” de Severo Salles (professeur à l’université nationale autonome du Mexique). Ce livre examine les années du pouvoir militaire auu Brésil d’un point de vue historique, économique et politologue.
“La politique en uniforme : L’expérience brésilienne, 1960-1980” de Maud Chirio (Historienne, ancienne étudiante à l’ENS de Paris et spécialiste de la dictature militaire brésilienne, et plus particulièrement de l’institution armée, de la droite et de l’appareil répressif au cours de la période autoritaire).
Vidéos : Vidéos youtube de Sous le Joug (un passionné d’histoire) synthétisant l’histoire du Brésil depuis 1500 https://youtu.be/3kvL-34q22w et https://youtu.be/A5pTkaUL4A4
Sources:
- Wikipédia (https://fr.wikipedia.org/wiki/Dictature_militaire_au_Br%C3%A9sil_(1964-1985))
- L’Histoire, revue de vulgarisation consacrée à l’histoire avec la participation d’historiens. (https://www.lhistoire.fr/vingt-ans-de-dictature-militaire) et revue numéro 366 classé juillet 2011 (archives CDI)
- Franceculture, radio culturelle nationale publique française renommée pour son sérieux (https://www.franceculture.fr/emissions/concordance-des-temps/bresil-une-dictature-1964-1985-0 (émission radio 58 min en parallèle avec l’actualité de Jair Bolsonaro)
- Le Figaro, média français d’ampleur national (https://www.lefigaro.fr/international/2018/10/27/01003-20181027ARTFIG00109-le-bresil-entre-democratie-et-dictature-une-histoire-mouvementee.php)
- France24, chaîne de télévision française d’information internationale en continu (https://www.france24.com/fr/20190818-bresil-president-jair-bolsonaro-ravive-memoire-sensible-dictature-militaire)
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