En 1972, l’UNESCO décide de créer un nouveau label, qui vise à réunir les notions de protection de la nature et de préservation des biens culturels. Des années plus tard, nous avons mené l’enquête pour connaître les effets pervers du label de l’UNESCO sur le patrimoine mondial.
La liste du patrimoine mondial de l’Unesco est un objet de prestige et de convoitises pour les États, soucieux de faire valoir leurs sites historiques, naturels et de les promouvoir sur la scène internationale. A l’heure où le tourisme est en plein expansion et concerne plus de 1.5 milliard de touristes en 2019, la question des effets pervers du label de l’Unesco fait réagir.
Des conséquences néfastes pour la population
Le patrimoine mondial de l’UNESCO désigne un ensemble de biens culturels et naturels présentant un intérêt exceptionnel pour l’héritage commun de l’humanité. Figurer sur cette liste peut entraîner des impacts pour les habitants qui subissent ainsi ce label.
Amsterdam dit stop au tourisme de masse
Ainsi, Amsterdam, la ville la plus touristique des Pays-Bas a décidé d’agir. Et pour cause : si la population des Pays-Bas frôle les 17 millions, la ville néerlandaise accueille à elle seule quelque 18 millions de touristes chaque année. Ils sont trop nombreux. 18 millions de touristes déambulent chaque année dans les rues d’Amsterdam. C’est plus que le nombre d’habitants des Pays-Bas. Et le chiffre pourrait grimper à 30 millions de touristes d’ici 2025. Ce qui entraine une dégradation de la qualité de vie au grand dam des habitants locaux. La ville a un attrait fort sympathique auprès des touristes, avec , en plus, des prix accessibles renforçant l’intérêt de visiter la capitale. Mais cela s’accompagne par une forte augmentation des nuisances sonores et des dégradations de la propreté des sites. Ces comportements sont de plus en plus insupportables pour les résidents poussant ainsi les autorités à agir.
Venise est une ville noyée par le tourisme
Après les nuisances d’Amsterdam, c’est la ville de l’amour, Venise qui subit les impacts du tourisme et pour cause. Destination touristique internationale depuis des années, le tourisme à Venise est un secteur qui ne connaît pas la crise… Ce flux constant de touristes inquiète les Vénitiens, qui sont de plus en plus nombreux à fuir la ville bâtie sur l’eau, ne reconnaissant plus la Venise authentique d’autrefois, ses rues et ses canaux où ils ne peuvent même plus circuler tranquillement. Ainsi, des portiques ont été installés à l’entrée des lieux les plus fréquentés pour réguler cette concentration touristique. Ce qu’ils ressentent comme une invasion a aussi des conséquences économiques. Les loyers devenus et devenant exorbitants poussent les habitants à quitter le centre ville pour se réfugier en périphérie.
Ce qui se passe à Venise n’est pas un phénomène isolé.
Ainsi à Panama, l’ inscription en 1997 sur la liste de l’Unesco du quartier historique de Casco Antiguo, a provoqué la migration des habitants vers la périphérie. Au moment de son classement, ce centre historique a subi une transformation majeure, entrainant le rejet des plus pauvres, des classes populaires: leurs portes et leurs fenêtres ont été murées pour les expulser alors que le quartier était entièrement réhabilité. Il est maintenant investi par de riches étrangers qui rachètent les plus belles bâtisses de l’époque coloniale avant de les revendre à la découpe. L’afflux touristique à Panama City a augmenté de façon trés importante depuis le classement du site sur la liste de l’Unesco, mais il en résulte une standardisation de l’espace urbain et une polarisation des inégalités.
Un tourisme de masse sur les sites hauts classés
Le nombre de touristes a augmenté de façon exponentielle au cours des 20 dernières années, et certains endroits sont si populaires que leur intégrité en est menacée. Le tourisme de masse représente aujourd’hui un dixième des émissions de gaz à effet de serre mondiale. Les sites classés sont souvent victimes de leur succès. Leur attractivité augmente, attirant davantage de touristes venus de pays de plus en plus lointains et différentes formes de dégradation de produisent.
Les îles Galapagos: trésor menacé?
Réputées pour leur faune et leur flore unique au monde, Les Galapagos obtiennent en 1978 une inscription méritée sur la liste du Patrimoine mondial de l’Humanité par l’Unesco. Mais, les visiteurs piétinent cet écosystème fragile et menacent sa survie. Des dizaines de catamarans circulent entre les îles, apportant leur lot de pollution . Ce tourisme massif, dû à un abattage médiatique vantant la beauté des îles, n’a pour conséquence que leur destruction et menace de disparition les différentes espèces protégées présentes dans la région. La situation s’est tellement dégradée ces dernières années que le Comité du patrimoine mondial de l’UNESCO a inscrit les îles Galapagos sur la liste du patrimoine mondial en péril. Malgré leur volonté de préservation de l’environnement et de lutte contre le réchauffement climatique, les îles Galápagos continuent d’être menacées.
Le mont Everest: le dépotoir le plus haut du monde
Il comprend le plus haut sommet du monde, le Mont Everest, de 8 849 mètres de hauteur. Ce patrimoine naturel jalousement préservé avec ses hautes montagnes et ses glaciers géologiquement jeunes et d’une beauté spectaculaire a été reconnu par l’UNESCO et inscrit au patrimoine mondial en 1979. Malgré tout, L’Everest est devenu le symbole des dérives du tourisme de masse. Depuis la première ascension réussie en 1953 par les alpinistes Edmund Hillary et Tensing Norgay, les touristes sont de plus en plus nombreux à vouloir conquérir le toit du monde. Les grimpeurs créent des embouteillages extraordinaires. Cette sur-fréquentation du site augmente les risques d’accident et pollue énormément. Parfois surnommé le “dépotoir le plus haut du monde”, en raison des déchets abandonnés par les visiteurs, l’Everest est ,de ce fait, en péril. A tel point que le gouvernement népalais impose à présent aux grimpeurs un dépôt de 4000 dollars, remboursable au retour de leur ascension s’ils ont ramené avec eux leur équipement et leurs déchets.
De plus, parfois, comme sur le continent africain, l’instrumentalisation des coutumes, des traditions incitent les pays a demandé leur intégration au patrimoine de l’Unesco. L’inscription du bois sacré d’Osun-Osogbo est le résultat de près de quinze ans d’efforts de l’État d’Osun pour se construire une légitimité historique et culturelle. Par le biais de la liste du patrimoine mondial, outil de légitimation, la culture peut être manipulée, instrumentalisée à des fins politiques ou économiques.
Une source de lutte de pouvoir
L’Unesco est bien plus qu’une simple organisation culturelle. Au fil du temps, celle-ci est devenue un acteur majeur des relations internationales et son influence sur la scène mondiale en témoigne. Elle possède également une forte influence économique ainsi que politique. La reconnaissance internationale que procure le label de l’Unesco est une source de compétition entre Etats ,ce qui engendre des rivalités internationales dans le processus de reconnaissance des sites et suscite une lutte de pouvoir interne. De plus en plus de sites du Moyen-Orient sont classés sur cette liste.
Les lettres de kamikazes japonais candidates à l’Unesco
Une ville du sud du Japon veut faire inscrire des lettres d’adieu de kamikazes de la guerre du Pacifique au programme Mémoire du monde de l’Unesco. Le musée de la paix de Minami-Kyushu est dédié à l’histoire de la Seconde guerre mondiale et préserve, parmi plus de 14 000 documents historiques, des centaines de lettres d’adieu de pilotes-kamikazes adressées à leurs parents. Ils décollaient de cette ville pour leur mission suicide contre les navires américains à la fin de la guerre et leurs écrits reflètent souvent leur fierté de combattre pour leur pays. Or ce dernier était raciste, impérialiste et allié de l’Allemagne nazie. La petite ville de Minami-Kyushu a soumis 333 de ces lettres de kamikazes, nom qui provient du japonais « Kami » qui signifier « esprit » et « Kaze », « le vent ». Cette demande d’inscription, en 2014, par le Japon a provoqué la colère de la Chine. En effet, cette dimension historique défendue par la ville et le Japon n’a pas été du goût des voisins chinois et coréens qui ont été envahis et colonisés par le Japon. La Chine a parlé de démarche « honteuse » alors que la Corée du Sud a souligné que ces lettres allaient à l’encontre de l’éthique qui constituait le patrimoine mondial. Depuis la Seconde guerre mondiale, le Japon et la Chine n’entretiennent pas de bons rapports diplomatiques. Le gouvernement japonais refuse de reconnaître le massacre de Nankin perpétré par ses troupes en 1937. La Chine a donc protesté et, en retour, a demandé, et obtenu, l’inscription sur le registre Mémoire du monde d’une somme de documents sur le massacre de Nankin, perpétré en 1937 par les forces japonaises, et au cours duquel 300 000 Chinois auraient été tués. Ainsi, on voit bien que le registre Mémoire du Monde est devenu le théâtre sur lequel s’est déplacé l’affrontement Chine-Japon. La mémoire de la Seconde Guerre mondiale est un sujet sensible pour ces deux pays.
L’inscription sur la liste du patrimoine mondial est un enjeu fort pour les territoires, en termes de notoriété, de marketing territorial. Certaines études font état d’une progression importante de la fréquentation touristique à la suite de cette labellisation avec les conséquences que l’on connaît. La patrimonialisation, les politiques de conservation, sont légitimes mais entrent parfois en contradiction avec certains projets de développement. Des arbitrages délicats sont nécessaires.
Malgré ces limites, on peut saluer l’action de l’Unesco pour préserver et promouvoir le patrimoine mondial. Le déséquilibre qu’on observe sur la liste du patrimoine mondial n’est que le reflet d’une inégalité économique, sociale et culturelle Nord-Sud, qu’il est urgent de combler.
https://www.franceculture.fr/societe/tourisme-de-masse-six-hauts-lieux-qui-viennent-de-legiferer
https://www.france24.com/fr/20190613-everest-tourisme-masse-nepal-alpinisme-embouteillage-himalaya
https://www.lesinrocks.com/2018/06/08/actualite/societe/le-tourisme-est-il-en-train-de-tuer-venise/