70 000 morts à son compte depuis la guerre d’indépendance et avant-dernière dans le classement de la liberté d’expression, voilà le portrait ténébreux que nous dresse l’Érythrée.
Tandis que des nations deviennent des démocraties, l’Érythrée connaît le contraire. Bordée par la Mer Rouge, annexée au Soudan et à l’Éthiopie et comptant près de 6 millions d’habitant.e.s, cette région d’Afrique est l’un de ces nombreux pays qui connaît une période de transition politique épineuse…
1. Une guerre, une histoire : l’Éthiopie et l’Érythrée
Suite aux horreurs de la Seconde Guerre mondiale, l’ONU (Organisation des Nations Unies) décide de rattacher deux deux régions d’Afrique, l’Éthiopie et l’Érythrée. La résolution 390, qui a pour but de lier ces territoires, conçoit à ce que l’Éthiopie soit désignée responsable de la diplomatie et de la défense de leurs voisins érythréens. Bien que le pacte garantisse le respect de ses us et coutumes, l’Érythrée s’insurge. En effet, le pays possède d’ores et déjà un parlement, ainsi que la mise en place d’un régime démocratique, et refuse l’annexion avec l’Éthiopie. D’une part, en raison des différends culturels, d’une autre, par crainte de perdre son indépendance. En 1952, une guerre éclate entre les deux pays.
Jusqu’en 1958, le Mouvement de Libération de l’Érythrée (MLE), qui se bat pour l’indépendance du territoire. À cette date, il est remplacé par le Front de Libération Érythréen (FLE), une armée qui lutte contre la suprématie éthiopienne. Cette organisation est par ailleurs soutenue par le Soudan et l’Égypte. Ce n’est que bien plus tard, à la fin des années 1970, que le FLE se fragmente pour devenir le Front Populaire de Libération de l’Érythrée (FPLE). Cette organisation, après vingt ans de conflit, parvient à vaincre l’armée éthiopienne en 1988. Cette victoire est également due à la rébellion de la province éthiopienne du Tigré, qui, à ce moment-là, est venu fragiliser le pays en guerre.
L’Érythrée obtient enfin son indépendance en 1993, après trente ans de conflit avec l’Éthiopie. En 1997, le pays décide d’engager un processus de démocratisation ainsi que l’adoption d’une Constitution. Néanmoins, les tensions sont toujours palpables entre les deux nations, à tel point qu’une nouvelle guerre éclate en 1998. Celle-ci ne durera que deux ans : en 2000, un accord de paix est signé. Bien que ce pacte ait été proclamé, l’Érythrée se dit encore menacée par l’Éthiopie, qui occupe toujours une partie du territoire à ce moment-là. À en croire le gouvernement érythréen, une nouvelle guerre avec leurs voisins éthiopiens, considérés comme « dangereux », est susceptible d’éclater à tout moment. Cependant, l’avis des citoyens diverge.
Si l’on se penche sur l’organisation politique du pays, on pourrait même dire que les habitants craignent aujourd’hui leur propre gouvernement.
2. Le régime liberticide, autoritaire et dictatorial d’Asmara
En 1997, quelques années après la première cessation des conflits et à la veille d’une nouvelle guerre avec l’Éthiopie, l’Érythrée se jure d’enclencher un processus de démocratisation et la mise en vigueur d’une Constitution. Cependant, ces projets tombent vite à l’eau.
L’actuel président de l’Érythrée, Issayas Afwerki, à la tête de l’État depuis l’indépendance du pays en 1993, est à l’origine de la création du régime d’Asmara. Ce régime est né du seul parti politique autorisé sur le territoire, à savoir le Front Populaire de Libération, combattant de l’indépendance contre les éthiopiens durant la guerre. Lorsque le pays se détache de l’Éthiopie, ce parti s”empare du pouvoir : à sa tête, Issayas Afwerki. C’est en 2001 que le régime d’Asmara prend un tournant répressif, lorsque des opposants à cette politique sont emprisonnés, torturés, tués. Les victimes s’élèvent au nombre de 10 000, tous étant partisans de la démocratie. Nous sommes donc bien loin des promesses de la création d’une Constitution et d’un processus de démocratisation.
En effet, le régime d’Asmara est considéré comme liberticide, autoritaire, voire dictatorial. Les droits des érythréens sont dès lors plus que menacés. Mis à part le christianisme, les autres religions sont réprimées, voire interdites. L’organisation de Reporters Sans Frontières a classé le pays à l’avant-dernière position – juste après la Corée du Nord – dans le classement de la liberté d’expression. Le pays ne laisse place ni à la liberté de presse, ni à la liberté syndicale. L’Érythrée ne possède qu’un journal et une seule chaîne de télévision, dirigés par le gouvernement. De plus, le territoire est relativement fermé aux médias : cela relève du défi de pouvoir obtenir un visa. Lorsque des journalistes étrangers peuvent y avoir accès, leur séjour est encadré par un guide chargé du ministère de l’information, qui planifie déplacements et rencontres, fait passer des courts-métrages visant à conditionner l’individu… La seule opinion déclamée est celle de l’unique parti au pouvoir. La population est également surveillée en permanence. Jour et nuit, les habitants sont sous l’œil aiguisé des policiers qui patrouillent en civils, qui surveillent et sanctionnent quotidiennement. De ce fait, l’Érythrée est « connue » pour son taux de criminalité très, très bas.
Tout jeune citoyen ou citoyenne a l’obligation d’effectuer d’effectuer un Service National, (SN), assurant un enrôlement dans l’armée, et ce pour une durée indéterminée. À la fin de ces années, le gouvernement assigne à l’individu un métier (médecin, militaire, commerçant.e…) qui rapporte souvent très peu d’argent. Les érythréens n’ont alors pas le choix d’exercer une deuxième ou une autre profession.
En politique ne demeurent qu’un seul et unique parti (FPL) et aucune Constitution. Les opposants au régime sont consignés aux travaux forcés dans des camps de déportation, subissent répressions et tortures dans des prisons souterraines, ou sont condamnés à la prison à perpétuité. L’ONU a récemment alerté le pays sur d’innombrables disparitions suspicieuses, et a porté une accusation sur le gouvernement pour crimes contre l’humanité. Pour ne pas subir la torture dans les camps, les jeunes opposants au régime tentent de fuir leur pays. Certains s’exilent, et témoignent même.
« Nous avons peur de dire la vérité.
Nous avons besoin d’aide. »
Paroles d’un ancien diplomate
érythréen qui a fuit l’Érythrée en 2012

Les opposants au régime n’ayant pas les moyens de quitter le territoire sont enfermés, et qualifiés d’ « évadés ». Ces derniers sont traqués, recherchés par le gouvernement. Aujourd’hui, on dénombre plus de 500 000 jeunes érythréen.ne.s ayant parvenu à quitter le pays. 117 000 évadés sont au Soudan, contre 107 000 en Éthiopie. Cependant, ces derniers sont toujours considérés comme des citoyens érythréens, et ont pour ordre de verser une pension à l’État chaque mois. Chaque citoyen.ne vivant à l’étranger reverse près de 2% de son salaire au régime d’Asmara. En effet, le pays est compté parmi ceux les moins avancés économiquement. L’Érythrée vit principalement de ses faibles ressources agricoles et des pensions versées par les érythréen.ne.s vivant à l’étranger. La situation financière étant désastreuse (faible croissance économique), le gouvernement traque les évadés pour pouvoir, grâce à l’aide des pensions, relancer l’économie, au détriment des citoyen.ne.s.
3. Les conséquences désastreuses d’un régime basculant dans la dictature
Si l’Érythrée a, en effet, remporté son indépendance, elle n’a pas tenu ses promesses concernant le processus de démocratisation et la mise en œuvre d’une Constitution, bien au contraire. Après plus de trente ans de guerre avec leurs voisins éthiopiens, les érythréens se voient désormais lutter en silence contre leur propre gouvernement. Du fait de la création de camps de déportation, des tortures infligées aux opposants au régime d’Asmara, de l’obligation de l’enrôlement dans l’armée, de la censure médiatique et culturelle, il est possible de penser que l’Érythrée, pays marqué par les conflits, se voit aujourd’hui basculer dans une dictature sans précédent.
De nos jours, les tensions subsistent entre l’Érythrée et l’Éthiopie, du moins c’est ce qu’ils nous laissent croire, mais d’autres sources démontrent que ces deux pays savent s’allier contre le Tigré : en effet, malgré leurs différends, ils occupent tous deux cette région éthiopienne réprimant les « insurgés », violant les femmes et les enfants, torturant et tuant la population qui subit une pénurie alimentaire, médicale et humanitaire.
« Ce que nous avons découvert, c’est qu’il y a eu des bombardements aveugles, des massacres systématiques de civils, ainsi que des pillages de propriété. »
Fisseha Tekle, chercheur pour Amnesty international
Source de l’image :
Migrants érythréens dans le camp de Wadi Sherifay au Soudan, le 2 mai 2017, après leur arrestation par les autorités soudanaises. (AFP – ASHRAF SHAZLY)