Les premiers « piétons de l’espace »

« Je m’avançais vers l’inconnu et personne au monde ne pouvait me dire ce que j’allais y rencontrer. Je n’avais pas de mode d’emploi. C’était la première fois. Mais je savais que cela devait être fait »

Alexeï Leonov, 1965

Revenons 74 ans en arrière, en 1947, date à laquelle le monde entier est plongé dans la guerre froide. Les États-Unis et l’URSS s’affrontent, et les programmes spatiaux, mis à part leur intérêt scientifique, sont aussi une des armes clés du combat. En effet, la réussite de ces conquêtes spatiales devient un enjeu majeur dans la rivalité culturelle, idéologique et technologique entre les deux puissances. Alors, chaque pays tente de développer des nouvelles technologies pour tenter de découvrir ces espaces inconnus et marquer l’histoire comme les Soviétiques l’ont fait en 1961 avec le premier homme dans l’espace ou encore comme les Américains en 1969 avec la mission Apollo 11 au cours de laquelle Neil Armstrong a fait les premiers pas sur la Lune. C’est dans ce contexte de rivalité permanente est-ouest que les vols spatiaux s’enchaînent, notamment les premières sorties extravéhiculaires.

C’est le 18 mars 1965 que la conquête spatiale prend un nouveau tournant. Ce jour-là, le cosmonaute soviétique Alexeï Leonov devient le premier Homme à réaliser une sortie extravéhiculaire lors de la mission Voskhod 2, c’est-à-dire une sortie dans l’espace extra-atmosphérique hors de son vaisseau spatial lancé depuis le centre spatial de Baïkonour. À cette époque, l’URSS domine déjà la conquête spatiale et enchaîne les premiers exploits.

Le silence m'a frappé» : le cosmonaute Alexeï Leonov — RT en français
Le cosmonaute soviétique Alexei Leonov, lors de la première sortie extra-véhiculaire dans l’espace le 18 mars 1965

 Après la mise en orbite du vaisseau, une heure et demi s’écoule avant le moment où Leonov entre dans le sas de sortie gonflable pour réaliser sa sortie. La trappe donnant sur le vide s’ouvre, et dès lors, le cosmonaute flotte dans le vide pendant 12 minutes et 9 secondes tout en étant relié au vaisseau par un filin de 4,5 mètres. Il décrit :

« Un silence impressionnant, comme je n’en ai jamais rencontré sur Terre, si lourd et si profond que je commençais à entendre le bruit de mon propre corps. »

Alexeï Leonov, 1965

Mais par la suite, rien ne passe comme prévu. Alors qu’il prend l’initiative de rejoindre le vaisseau, Leonov réalise que son scaphandre a gonflé. Malgré tout, il parvient à rentrer dans le sas après avoir fourni un effort surhumain et à revenir sain et sauf sur Terre, bien que le retour rencontre aussi quelques soucis techniques, qui ont causé un atterrissage à 387 km du lieu prévu. Tout au long de l’exploit, une caméra enregistre les images retransmises peu après à des centaines de millions de téléspectateurs fascinés, et de nombreux articles de presse sont publiés à ce sujet qui contribuent à la gloire de l’URSS dans cette rivalité. Un extrait de ces images est disponible dans la vidéo ci-dessous.  De surcroît, Leonov raconte son expérience dans son livre Piéton de l’espace paru en 1970, à nouveau le tout à la gloire de l’URSS.

De leur côté, les États-Unis connaissent un retard technologique, c’est pourquoi ils n’effectueront leur première sortie extravéhiculaire qu’environ trois mois plus tard, le 3 juin 1965. Ici, c’est l’astronaute américain Edward White qui réalise cette première américaine lors de la mission Gemini 4, deuxième mission avec équipage de la série Gemini, qui a transporté James McDivitt et Edward White sur un vol de plus de 4 jours. Après la dépressurisation de la cabine, White sort du vaisseau et flotte dans le vide en se déplaçant grâce au HHSMU (Hand Held Self Maneuvring Unit), un pistolet à jet de gaz.

L’Américain Edward White sortant de son vaisseau, le 3 juin 1965.

Sa sortie dure 22 minutes, soit 10 de plus que celle de Leonov, et est très appréciée de l’astronaute qui ne montre aucun signe de désorientation et qui déclare même “C’est le moment le plus triste de ma vie” au moment de rejoindre le vaisseau. Le journal France-Soir ne manque pas de rapporter cela le 5 juin, en titrant en gros caractères «Rentres dans la cabine ! – Non je veux rester dans le ciel! ». Les images de la sortie spatiale d’Edward White sont capturées par les caméras accrochées à la capsule Gemini 4. La vidéo ci-dessous en présente un court extrait. De plus, des images de sa sortie spatiale iconique figurent sur le disque gravé porté par les deux sondes Voyager, véritables bouteilles à la mer parcourant l’Univers.

Le vol se poursuit sans encombres, diverses expérimentations sont menées comme par exemple des mesures de radiations ou de position par rapport à des étoiles. Après que le vaisseau ait effectué 62 orbites en quatre jours, le retour se fait sans réelle difficulté, si ce n’est que l’amerrissage ne se fait pas au point prévu. Pour ce qui est de l’objectif, ce vol est prévu afin d’étudier les limites du vol spatial habité en vue d’un voyage vers la Lune.

Gemini 4 — Wikipédia
Edward White à gauche, James McDivitt à droite

Malgré les risques, le pari entrepris par Jim McDivitt et Edward White a porté ses fruits. Gemini 4 a donné à la NASA la confiance nécessaire pour tenter un vol encore plus long la prochaine fois. Par la suite, les sorties extra-véhiculaires vont se multiplier comme celle de Bruce McCandless en 1984, qui est le premier à l’effectuer sans câble mais avec un fauteuil équipé de petits propulseurs.

Enfin, les deux pays ont investi des sommes colossales pour ces conquêtes spatiales, c’est pourquoi dans les années 1970, la coopération entre les États-Unis et l’URSS s’impose, d’autant plus que les relations entre ces pays sont plus détendues depuis la crise de Cuba en 1962. En effet, cette crise donne lieu à un accord entre les deux pays afin d’éviter un conflit militaire qui aurait pu mener à une guerre nucléaire et à une troisième Guerre mondiale. Cette coopération les amèneront alors à l’organisation d’une mission spatiale conjointe : Apollo-Soyouz en 1975.

Sources :

https://www.franceinter.fr/emissions/chronique-de-l-espace/chronique-de-l-espace-15-juillet-2019

https://fr.wikipedia.org/wiki/Sortie_extravéhiculaire

https://www.sciencesetavenir.fr/espace/exploration/premiere-sortie-extra-vehiculaire-americaine_144876

https://boowiki.info/art/projet-gemini/gemini-4.html

https://www.air-cosmos.com/article/edward-white-et-la-premire-marche-dans-lespace-amricaine-23172