Le Venezuela, pays d’Amérique latine réputé pour ses richesses pétrolières, vit aujourd’hui un chapitre tumultueux de son histoire politique. Entre tensions sociales, bouleversements économiques et lutte pour le pouvoir, le pays oscille depuis plus de tente ans entre tentative de démocratisation et processus autoritaire, ce qui impacte la société vénézuélienne actuelle.
Pour mieux comprendre cette période compliquée, nous avons pu échanger avec une Française qui s’est installée il y a quelques temps au Venezuela. Elle a pu nous livrer son ressenti son ressenti à propos du régime dans lequel elle vit. Serait-il plus de nature démocratique ou autoritaire ? Le fait que nous ayons pu discuter avec elle sans problème ni surveillance via les réseaux sociaux pourrait nous laisser penser que l’on est loin d’une dictature, c’est ce que nous allons voir.
Aux origines de la dictature vénézuélienne
Ce pays d’Amérique latine, plongé dans l’insécurité et la violence depuis plusieurs années, a fait parler de lui très récemment avec un referendum controversé. Pour mieux comprendre ce phénomène actuel, il faut se replonger dans ses origines. Tout commence en 1992, lorsque Hugo Chavez, un homme politique de gauche populiste et ancien militaire, tente un premier coup d’État raté contre le président de l’époque : Carlos Andrés Pérez. Il arrive finalement au pouvoir en remportant l’élection présidentielle en 1999 et sera réélu jusqu’en 2013. Il met alors en place plusieurs reformes de gauche apparente sous le nom de « révolution bolivarienne ». Elle fait référence au général vénézuélien « libérateur » Simon Bolivar, le héros de l’indépendance de l’Amérique latine au début du XIXème siècle face aux Espagnols. H. Chavez instaure une nouvelle constitution, dans le but de faire du Venezuela une démocratie populaire et participative. Il y parvient en partie avec une baisse du taux de pauvreté et une hausse du taux de scolarisation et du PIB. Mais son régime est tout de même grandement critiqué, il lui est reproché de se comporter parfois en dictateur notamment lorsqu’il établissait des liens avec plusieurs dictatures. De plus, l’économie du pays est devenue complétement dépendante de la production de pétrole. Par ailleurs, de nombreuses atteintes à la liberté de la presse ont pu être visibles. La démocratie a donc énormément souffert et s’est petit à petit transformée en gouvernement autoritaire. Après la mort de Chavez le 5 mars 2013, c’est Nicolas Maduro qui lui succède. Celui-ci est encore au pouvoir aujourd’hui. Nous avons pu questionner notre interlocutrice sur le régime mis en place par ce dernier.
La dictature au Venezuela est-elle à l’image de ce que tu imaginais quand tu entendais ce mot ? La ressens-tu dans ta vie quotidienne ?
« Il faut savoir que j’ai vécu dans beaucoup de pays sous régime totalitaire comme la Russie, l’Arabie saoudite et l’Algérie, cela me permet donc de comparer et je trouve honnêtement que le Venezuela est le pays où je ressens le moins la dictature. Il n’y a pas de barrage de police partout, il y en a certes, mais ni plus ni moins qu’en France. Je ne subis pas de contrôles d’identité de manière régulière non plus. Il faut tout de même prendre en compte que j’habite dans une sorte de bulle au Venezuela car je loge dans la capitale de Caracas et que mon domicile est situé dans un quartier très privilégié: le quartier de la Castellana. Je ne suis pas vraiment sortie de cette bulle pour l’instant, je ne sais donc pas trop ce qui se passe en dehors de mon quartier et de la capitale. En revanche, il y a tout de même des signes qui nous rappellent que nous sommes en dictature. Par exemple, en période d’élection le gouvernement donne de la nourriture aux plus démunis en échange d’un vote pour Maduro, on leur fait croire qu’on saura s’ils trahissent cet accord car on a accès à leur vote. Ceci est totalement impossible mais par manque d’éducation, ces personnes se font manipuler par l’état. Les opposants au président sont aussi « rachetés » par le gouvernement qui les met dans une instance appelée « la table des négociations », une fois qu’ils y entrent, ils deviennent moins virulents. Une autre chose typique des dictatures est la dégradation des conditions d’éducation, les enseignants sont très mal payés et les écoles n’ont pas de moyen. En maintenant le peuple dans l’ignorance on peut plus facilement le manipuler c’est peut-être une stratégie. De plus, la presse est très pro Maduro, elle se rapproche de la propagande et porte la conviction auprès du citoyen que tout ce qui est fait par le gouvernement est bien. »
En décembre 2023, un referendum organisé par le gouvernement a proposé à la population de se prononcer sur cinq questions dans le but de récupérer la région riche en pétrole et en minerais appartenant au Guyana voisin : le Guyana Esequiba. Peux-tu nous expliquer comment s’est déroulé ce referendum ? Quels sont les choses qui t’ont le plus marquée dans cette consultation ?
« Pendant la période du référendum, ce qui m’a marquée, c’est qu’il y avait des publicités imposées qu’on ne pouvait passer qu’à partir d’un certain temps, quand on se connectait sur YouTube, Instagram etc. Ces publicités étaient en faveur du référendum, elles étaient très américanisées, elles me faisaient beaucoup penser à des grandes productions de cinéma. Elles mettaient en scène le vol d’un bout de terre, on y voyait quatre hélicoptères qui étaient en train de soulever une partie du territoire, et tout ça accompagné d’une multitude d’effets spéciaux. De mon point de vue ces pubs étaient plutôt bien réalisées et avaient pour but de convaincre les gens de voter « oui » au référendum. Deux semaines avant le référendum, dans Caracas, des stands étaient montés et tenus par des gens qui incitaient les passants à voter oui. Il y avait également beaucoup de voitures avec des messages en faveur du vote du « oui », et même les voitures de la police municipale affichaient des slogans qui prônaient ce vote. L’État a aussi mis en place certaines mesures assez spéciales qui interdisaient la consommation d’alcool de la veille du vote jusqu’au lendemain midi. Par exemple, je n’ai pas pu être servie en alcool dans mon bar préféré et les supermarchés étaient munis de rubalises qui interdisaient d’aller acheter de l’alcool afin d’en préserver les Vénézuéliens avant le vote. Pour en venir plus précisément aux résultats du vote, le gouvernement a procédé de manière assez particulière, en effet, il a ajouté et communiqué le nombre de « oui », en revanche il n’a pas communiqué le nombre de votants. Il y avait 5 questions et la grande majorité des gens qui ont voté sont des gens qui étaient pro-Maduro, donc ils ont voté cinq fois oui. Cela a gonflé les résultats, c’était une manière détournée de grossir les chiffres mais personne n’était dupe. »
Les Vénézuéliens se proclament-ils publiquement pour ou contre Maduro ? Y’a-t-il des manifestions et si oui sont-elles réprimandées ?
« Dans le milieu dans lequel j’évolue, les gens avec qui je travaille sont plutôt largement contre Maduro. Ils sont très prudents dans la manière dont ils s’expriment et avec qui ils s’expriment. Ils ne vont pas dire publiquement ce qu’ils pensent et s’ils évoquent leurs orientations politiques, c’est face à des gens qui pensent comme eux. Cela reste donc très fermé car les pro-Maduro ne discutent qu’entre eux et idem pour les anti-Maduro. Au Venezuela, on n’affiche pas son opinion politique de manière aussi simple qu’en France, on fait attention à qui on parle, des tensions sont d’ailleurs perceptibles. Ensuite, je n’ai pas vu de manifestation réprimandée dans le pays contrairement en Russie ( ou les manifestations étaient encerclées par la police et ou un grand nombre de processus étaient mis en place comme l’installation de portails afin de surveiller de près les manifestants et leurs comportements). Cependant, récemment à Caracas, il y a eu des manifestations pour et contre le gouvernement à l’occasion du 23 janvier où on fête la fin du dictateur Perez Jimenez. Les pro-gouvernement ont organisé une marche à l’ouest de la ville, quant aux opposants, ils se sont réunis sur une place, apparemment ils étaient nombreux mais on ne peut pas connaitre les chiffres par manque d’information. Ce que je sais, c’est qu’il n’y a pas eu de violence ni de réprimande vis-à-vis de leur regroupement cette année. Ce qui n’était pas le cas dans les années antérieures. »
Dans la vie quotidienne, quelles différences avec la France as-tu remarqué ?
« En France, on a l’habitude de vivre dans un pays laïque ou l’état ne proclame pas de religion, au Venezuela c’est tout le contraire: l’État se proclame clairement chrétien, il promulgue cette religion par exemple sur les transports avec des publicités et des affiches où on peut voir Jésus Christ et des inscriptions du type « Dieu est avec moi ». Les armes sont autorisées au Venezuela et ce qui est amusant, c’est que dans certains restaurants ou hôtels, elles sont interdites au même titre que les tongs et les casquettes. Un autre phénomène aussi très différent, c’est que quand on fait un achat avec notre carte bancaire, ou qu’on soit, on a besoin de donner son numéro de carte d’identité, je le connais donc par cœur, en revanche je doute que les Français aient la moindre idée du leur. On pourrait penser que ce fonctionnement a pour but de nous identifier et que l’État se sert de ces données mais j’en doute. Par ailleurs, dans les magasins, les vendeurs te demandent ton code de carte bancaire une fois en caisse, pour les Vénézuéliens c’est totalement normal de le dire à haute voix et ça ne choque absolument personne. Cela est impensable en France où on cache automatiquement ce code par crainte de se faire voler ou arnaquer. »
Dirais-tu que le Venezuela est un pays en crise ou qu’il connaît une certaine stabilité économique?
« Il y a quelques années il y a eu une grosse crise financière et une inflation galopante absolument extraordinaire au Venezuela. Les magasins étaient entièrement vides et on ne trouvait même pas de papier toilette. Les ressortissants français comme moi étaient obligés de passer commande auprès de l’ambassade française qui leur fournissait de quoi subvenir à leurs besoins telles que des boites de conserve. Celles si étaient tout droit envoyées de France, elles traversaient l’océan et arrivaient par conteneurs. On raconte même que des billets volaient dans les rues de Caracas tellement la monnaie n’avait plus aucune valeur. Cela a entrainé le départ d’une grande partie de Vénézuéliens notamment des intellectuels et des truands (car il n’y avait plus rien à voler). Cette crise est liée au fait que Maduro interdisait l’utilisation du dollar. Aujourd’hui je vis dans un pays où les magasins sont pleins, les prix très élevés et surtout où on peut payer en dollars. C’est-à-dire qu’il y a deux monnaies officielles dans le pays (le bolivar et le dollar). C’est un phénomène qui peut paraitre assez spécial mais qu’on retrouve régulièrement dans un régime dictatorial, c’est le cas en Chine par exemple. »
On comprend donc grâce à ce témoignage que le Venezuela ressemble davantage à un régime autoritaire qu’à une démocratie. Cela a été à nouveau prouvé tout dernièrement lorsque la cour suprême a confirmé l’inéligibilité de la principale opposante au pouvoir, Maria Corina Machado, à quelques mois des élections présidentielles. Le chemin qu’il reste à parcourir pour que le pays devienne une démocratie sera encore long...
Soline P. et Gaïa M.
- Nos sources :
-Wikipédia
-Ouest-France
-une ressortissante française qui vit actuellement au Venezuela.