La France sous le régime de Vichy : une guerre intellectuelle

Durant la 2nde Guerre mondiale, la France se place sous le régime autoritaire de Vichy. Débute alors une période de censure et d’oppression littéraire. Cependant, des écrivains n’hésitent pas à résister et à jouer un rôle dans la libération de la France, un rôle de lutte contre la dictature. Ainsi naît le combat entre oppression et liberté d’expression, entre censure et contrebande littéraire.

Paris, alors en pleine ébullition littéraire, tombe en 1940 aux mains de l’Allemagne nazie. La France, ayant perdu sa capitale, signe alors le 22 juin une armistice la divisant en deux : au nord, la zone occupée par la Wehrmacht, force armée allemande ; au sud, la zone libre dirigée par le régime de Vichy de Pétain. Ce dernier ayant obtenu les pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale le 10 juillet, s’attribue la totalité du pouvoir législatif et exécutif et bascule donc la France dans un régime autoritaire. Par ailleurs, en 1942, la France sera entièrement occupée mais restera sous l’administration de la dictature de Vichy.


” Ces voix qui montent du désastre “

Aragon

Sous l’occupation allemande, la littérature est soumise à un double dispositif de contrôle, mis en place par les forces militaires et par le régime de Vichy : ils instaurent des listes d’interdiction d’ouvrages, une convention d’autocensure imposée aux éditeurs et une orientation de la propagande par la presse : la liberté d’expression est donc abrogée. La politique nazie vise même jusqu’à briser l’hégémonie culturelle française en interdisant la traduction des œuvres françaises en allemand, sauf exception comme Alphonse de Chateaubriant (sans lien avec le célèbre François-Renée de Chateaubriand), qui est le fondateur et directeur du journal ultra collaborationniste La Gerbe, il fut un intellectuel actif de la collaboration.

” Un homme comme A. de Châteaubriant, qui voulait passer pour un fin connaisseur des choses d’Allemagne, a réussi à faire de sa Gerbe un véritable florilège de fausses traductions et de coquilles de toute espèce !”

Paul Lévy, historien français

Lancée en 1909 après un faux départ en 1908, La Nouvelle Revue Française, appelée la NRF, est la revue littéraire de référence et occupe un rôle phare dans les débats de la société française de l’entre-deux-guerres, publiant notamment les premiers textes d’André Malraux et de Jean-Paul Sartre. Elle publia son dernier numéro libre en juin 1940 sous la direction de Jean Paulhan. Elle s’interrompt en juin 1940 avec la défaite de l’armée française, et reparaît en décembre sous la direction de Pierre Drieu La Rochelle, privée de ses auteurs juifs et communistes. Elle compromet alors son nom auprès des autorités occupantes, cette situation ne cessant qu’en 1943 : la revue s’arrête, car Drieu a démissionné et Gaston Gallimard refuse de continuer à la publier sous les ordres d’un collaborateur comme Ramon Fernandez. Interdite après la Libération en novembre 1944 pour collaborationnisme, elle reparaît à partir de 1953 grâce à Jean Paulhan et Marcel Arland et prend le nom de Nouvelle Nouvelle Revue Française, pendant quelques années. Si aujourd’hui, elle a perdu une part de son influence, elle reste un modèle pour de nombreuses revues littéraires créées depuis.

Louis-Ferdinand Céline lors de l’attribution du prix Renaudot à son roman Voyage au bout de la nuit en 1932.

Il y a donc eu de nombreux écrivains collaborationnistes, qui, eux, n’ont pas eu besoin d’avoir recours à la censure : l’un de ces écrivains les plus connus est Louis-Ferdinand Destouches, dit Céline. Cet écrivain est notamment connu pour avoir tenu des paroles (ou plutôt ici, des rédactions) antisémites, mais surtout pour être l’un des plus grands novateurs de la littérature du XXe siècle.  Il publie des pamphlets virulents dès 1937 et, sous l’Occupation durant la Seconde Guerre mondiale, il est proche des milieux collaborationnistes et du service de sécurité nazi. Il rejoint en 1944 le gouvernement en exil du Régime de Vichy, épisode de sa vie qui lui inspire le roman D’un château l’autre, paru en 1957.

” Je suis raciste et hitlérien, vous ne l’ignorez pas […] Je hais le Juif, les Juifs, la juiverie, absolument, fondamentalement, instinctivement, de toutes les façons. Une haine parfaite. “

Lettre de Céline à Robert Brasillach, juin 1939

Portrait de Decour par le street artiste C215 à Paris.

Tandis que la propagande littéraire collaborationniste gagne du terrain, les écrivains ne se soumettant pas à la dictature mettent du temps à s’organiser. En effet il faudra attendre 1942 pour qu’un principal réseau de littérature clandestin subsiste. Avant cela, la Résistance littéraire voit le jour avec des intellectuels s’organisant autours du mouvement du Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France. Ce mouvement, créé par le Parti communiste français, publiait des revus clandestines, dont La Pensée libre, afin de contrer la propagande allemande et de rallier d’autres résistants. Cependant ces revues, trop proches du communisme pour certains, repoussent des intellectuels qui veulent garder leur autonomie politique. L’écrivain Jacques Decour, alors membre du Comité national des écrivains (CNE), organe indépendant du Parti communiste, se charge donc avec l’ancien directeur de la NRF, Jean Paulhan, de regrouper les écrivains résistants au CNE. Ils fondent en conséquence le journal Les Lettres françaises où il fait “L’Appel aux écrivains” pour inviter les intellectuels de “toutes les tendances et toutes les confessions : gaullistes, communistes, démocrates, catholiques, protestants” à les rejoindre. Mais seulement, Decour est arrêté en 1941 et fusillé, repoussant la sortie des Lettres françaises de mai à septembre 1941. L’appel est cependant un succès grâce à Paulhan qui continua de réunir des écrivains tels que Paul Éluard, Jean-Paul Sartre et Raymond Queneau. Louis Aragon, écrivain et résistant très actif, va par ailleurs présider un Comité national des écrivains de zone sud formé en 1943.

En plus des journaux clandestins, on retrouve dans la littérature résistante des livres entiers publiés clandestinement. C’est notamment le cas avec les éditions de Minuit dont la première production sera un tour de force majeur pour la Résistance littéraire. Cette maison d’édition, fondée en 1941 par Jean Bruller, dont le nom de plume est Vercors, et Pierre de Lescure, publiera entre 1942 et 1944 un total de 23 livres de 96 pages en moyenne d’écrivains et penseurs de la Résistance, dont Aragon et Éluard. Le premier livre produit était une nouvelle de 90 pages de Vercors lui-même, contant le récit d’un soldat allemand occupant et lettré et d’une jeune fille française mutique. Le Silence de la mer publié clandestinement mais connu alors internationalement sera le symbole de la résistance face à la censure. Ainsi s’ouvrent les portes de la publication autre que d’ordre politique pour les libres penseurs français.

Mais il n’y eu pas seulement des actes de résistance intérieure durant l’Occupation, il y eu aussi une résistance extérieure forte, appelée France libre, dirigé par le général de Gaulle. Mais la littérature aussi eu droit à sa résistance extérieure, indépendante même de l’influence du général. Cette littérature est donc regroupée et représentée dans le mensuel La France libre, dont le succès fut international. Le journal fut par ailleurs, en signe de résistance face à l’occupant allemand et le régime de Vichy, distribué clandestinement en Europe, parachuté par la Royal Air Force, afin de diffuser les idées contre la propagande collaborationniste. Est, de plus, diffusé de cette manière le célèbre poème de Éluard Liberté, mais aussi les thèses et analyses du philosophe et journaliste Raymond Aron dans lesquelles il fait une petite critique implicite des penchants autoritaires du général de Gaulle dans son article “L’ombre des Bonaparte“, mais construit surtout sa pensée sur le totalitarisme qui fera beaucoup référence ensuite jusqu’à aujourd’hui.

Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom

Liberté, Paul Éluard, 1942

Grâce à la résistance intérieure et extérieure, mais aussi grâce aux interventions militaires des pays alliés, à savoir principalement les États-Unis, le Royaume-Uni et l’URSS, contre l’Axe, alliance entre l’Allemagne, l’Italie et le Japon, permirent alors à Paris d’être libérée de l’oppression nazie le 25 août 1944, et à la France de mettre un terme au régime de Vichy, le maréchal Pétain s’étant exilé à Berlin. Le 31 s’installe alors le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF), dirigé au début par le général de Gaulle, à la tête du gouvernement dans le but de rédiger une nouvelle Constitution. Une élection législative pour réunir une Assemblée constituante est donc organisée pour la rédiger.

Du côté des écrivains, une longue et violente épuration commence. En effet, le Comité national des écrivains (CNE) rédigent une liste noire des écrivains accusés d’intelligence avec l’ennemi. On y retrouve notamment Brasillach, jugé coupable et fusillé, Céline, alors en exil, et Chateaubriant, lui aussi en exil.


Pour conclure, les écrivains ont donc joué un rôle important dans la résistance afin d’alimenter sa flamme, de s’opposer à la dictature et ne pas laisser la propagande gagner l’esprit des français. Pour lutter contre l’Occupation et la dictature du régime de Vichy, un mouvement de résistance, notamment littéraire, était donc nécessaire jusqu’à ce que la France soit libérée et revienne à un régime démocratique.

Sources

  • Les écrivains et l’Occupation, Maxime Rovere & Claire Paulhan, in Le Magazine Littéraire de Février 2012 : pour s’informer sur les rôles des écrivains et de la littérature sous la dictature
  • Wikipédia : pour détailler sur les évènements de résistance et de libération de la France sous Pétain
  • Cairn.info

PHILBÉE–DAURAT Clément et MARREL Céline