Crise des Rohingyas : le chemin de la démocratie est encore long au Myanmar

Longtemps sous le joug d’une junte militaire autoritaire depuis 1948 suite à la proclamation d’indépendance de la Birmanie sur le Royaume-Unis, le Myanmar connaît son premier régime démocratique en octobre 2016, avec l’arrivée au pouvoir d’Aung San Suu Kyie. Cette dernière, lauréate du prix Nobel de la Paix en 1991 était à la tête de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) mais son élection, en dépit des espoirs suscités, ne met pas un terme à tous les conflits qui continuent à diviser le Myanmar, notamment la répression dont est victime la communauté musulmane des Rohingyas

Par Giraud Charlotte

Les Rohingyas, une minorité musulmane persécutée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale

Considérés par l’ONU comme une des minorités les plus persécutées au monde, les «Rohingyas » sont des musulmans originaires de l’Etat d’Arakan à l’ouest du pays. Cependant, la date d’arrivée des Rohingyas au Myanmar reste inconnue. La majorité bouddhiste prétend que ceux-ci ne seraient pas originaires de la région, mais bien une communauté du Bangladesh qui aurait profité de l’annexion de l’Arakan et de la Birmanie par les colons britanniques pour s’installer dans le pays. Dès les années 1940, des tensions opposent communautés bouddhiste et musulmane en Arakan. (maintenant Rakhine). Les racines de la répression que subie la communauté musulmane Rohingya depuis la fin des années 40 et l’indépendance du Myanmar  s’appuie ainsi sur un contexte politique, ethnique, géographique et historique complexe

La gestion de la crise par le gouvernement d’Aung San Suu Kyie critiquée par une communauté internationale peu mobilisée

En septembre 2017, Aung San Suu Kyi se dit ouverte à un retour des Rohingyas. Cependant, l’ONU dénonce son ambiguïté. Cette ambiguïté s’explique par plusieurs raisons. Elle n’a aucune autorité sur les forces de sécurité, et il lui serait difficile de condamner l’armée de son pays avec qui elle travaille alors que dans le même-temps, peu de personnes s’indignent du sort des Royhingyas au Myanmar. Finalement la création de tensions entre différentes forces armées pourrait mettre en péril la démocratie, encore fragile et instable. Ainsi, le 3 septembre 2018, deux reporters birmans de Reuters accusés d’atteinte au secret d’Etat” pour avoir enquêté sur un massacre de Rohingyas sont condamnés à sept ans de prison. Par ces arrestations, le Myanmar montre à ses habitants et aux puissances étrangères qu’il ne souhaite pas que l’on s’interfère dans les affaires de son pays.

En raison de ces ambiguïtés, la communauté internationale est très critique. En décembre 2017, Médecins Sans Frontières publie un rapport sur la répression militaire. Plus de 6700 civils, principalement des Rohingyas, dont 730 enfants de moins de cinq ans, auraient été tués. Le 16 juillet 2019, Washington annonce des sanctions contre le chef de l’armée Birmane et trois autres responsables militaires. En réaction à ces menaces, à partir du 22 août, environ 3.500 Rohingyas sont autorisés à rentrer en Birmanie s’ils le souhaitent. Aucun ne le fait, faute de sécurité. L’ONU déclare alors que les quelque 600.000 Rohingyas restant en Birmanie vivent sous la menace d’un “génocide”. L’organisation qualifie également ces déplacements forcés de « cas d’école de nettoyage ethnique ».

Néanmoins, les puissances étrangères, sauf exception, s’engagent peu sur le sujet. La raison : l’Arakan, la région où vivent la majorité des Rohingyas, est une importante source de gaz et de pétrole, mais aussi de bois, de pierres précieuses et de minerais. Les pays ayant pour fournisseur la Birmanie n’osent pas ou peu s’interférer face à la gestion de sa politique intérieure, de crainte de se voir stopper toutes commercialisations.

Flux de réfugiés et lutte armée : une communauté des Rohingyas dans l’impasse

Début octobre 2016, les habitants de l’Etat de Rakhine décident de mener une lutte armée contre le pouvoir birman, accusé de persécuter les Rohingyas depuis des décennies. Des milices armées voient le jour, la plus importante d’entre elles est l’Armée du salut des Rohingya de l’Arakan (ARSA). Dans le même temps, depuis août 2017, plus de 740.000 Rohingyas se sont réfugiés au Bangladesh pour fuir les persécutions de l’armée birmane et de milices bouddhistes. Leurs villages sont pillés et brûlés, et les populations restantes sont exterminés, les forçant à un exode massif. Des cas d’abus sexuels et de tortures ont également été recensés par plusieurs ONG. Aujourd’hui, la question des Rohingyas au Myanmar reste un sujet encore très sensible. On estime leur nombre à 1 million sur une population de 3 millions de personnes dans l’Arakan. Outre une extermination de la population, cette minorité est en incapacité d’exercer dignement son droit de citoyenneté dû à la loi de 1982 leur interdisant le droit de vote, d’accès à certains emplois et à la propriété et l’obligation d’informer aux autorités le moindre de leurs déplacements. Les mosquées et tous les lieux portant les traces de leur histoire sont également détruits.

Chronologie d’un conflit communautaire qui s’inscrit dans une histoire nationale troublée

janvier 1948 :
Proclamation d’indépendance de l’Union birmane  > le pays obtient son indépendance du Royaume-Uni, refusant  cependant de joindre les rangs du Commonwealth britannique.

mars 1962 :
Renversement du gouvernement de U Nu  > arrivée du pouvoir du général Ne Win suite à son putsch visant à résoudre les conflits au sein du parti.

1971 :
Guerre civile au Pakistan Oriental > de nombreux Bangladais prennent refuge en Arakan, subdivision administrative de la Birmanie.

1978 :
Lancement de l’opération Naga Min (Roi des Dragons) par l’armée Birmane > l’état souhaite contrôler l’identité et le statut des habitants d’Arakan. Plus de 300 000 résidents illégaux d’origine bengalie, les Rohingyas, s’enfuient vers le Bangladesh, mais Dacca leur refuse toute assistance. Les autorités birmanes acceptent leur retour, à condition qu’ils s’installent dans des Townships le long de la frontière bangladaise.

1982 :
Ne Win, l’ex-commandant de la junte militaire, a déchu les Rohingyas de leur nationalité.

septembre 1988
:
Renversement du gouvernement de Maung Maung

1989 :
Le général Saw Maung reconnaît officiellement 135 ethnies résidant en Birmanie. Les Rohingyas n’y figurent pas.

novembre 2010 :
Libération d’Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix, après plus de 7 ans en résidence surveillée pour s’être opposé au gouvernement en place.

avril 2012 :
Élection d’Aung San Suu Kyi à l’Assemblée du peuple > ouvertures démocratiques manifestées par le gouvernement birman depuis quelques mois.

2012 :
Vagues de pogroms dans l’état d’Arakan visant à pousser à l’exode des Rohingyas.

août 2017 :
Nouvelle violente répression de l’armée birmane contre la minorité musulmane, poussant 625 000 d’entre eux à fuir au Bangladesh.

novembre 2017 :
Déclaration de l’ONU sur la situation des Rohingyas au Myanmar > le conseil de sécurité se prononce en faveur de l’arrêt des persécutions.

25 août 2017 :
Rébellion Rohingya contre des postes de police dans l’Etat de Rakhine (ouest) > l’armée riposte par des raids sur des villages rohingyas. L’armée dit avoir tué 400 rebelles, mais selon les opposants au régime, la majorité des victimes sont des civils. L’ONU évoque au moins 1.000 morts les deux premières
semaines.

Sources

https://www.courrierinternational.com/article/birmanie-rohingyas-les-questions-cles-pour-comprendre-le-conflit-dans-larakan

https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMHistoriquePays?codePays=MMR

https://www.nationalgeographic.fr/histoire/lhistoire-controversee-des-rohingyas-en-birmanie